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humeur, que le Président ne lui prêtait qu’un concours assez froid et rigoureusement correct, et laissait entrevoir que ni la composition ni les tendances de l’administration nouvelle ne répondaient à ses préférences. Puis une indiscrétion de la presse a fait connaître ou laissé supposer que, sur un point très intéressant de politique étrangère, le Président avait essayé de se procurer des renseignemens confidentiels par une voie différente de la diplomatie régulière. Aussitôt quelle clameur ! Le chef de l’État veut donc avoir une politique à lui, en dehors et à côté de son ministère ! C’est la résurrection du pouvoir personnel ! Peu s’en faut qu’on n’ait vu là le retour de certaines pratiques mystérieuses de l’ancien régime. C’est Louis XV entretenant un cabinet secret à l’insu du duc de Choiseul ! Personne n’était peut-être mieux que moi en mesure de savoir combien cette assimilation était déplacée. Quand Louis XV, par une fantaisie étrange chez un monarque absolu, se cachait de ses ministres, c’était pour contrarier leurs desseins, Rien de pareil dans le cas présent, puisque le sujet sur lequel le Président aurait, dit-on, voulu être éclairé est de ceux qui nous inspirent à tous, président, ministres et public ; un sentiment unanime.

L’incident par lui-même est donc sans aucune importance ; mais ce qu’il n’est pas indifférent de savoir, c’est quel peut bien être le rôle que la Constitution de 1875 assigne à celui qu’elle place au sommet de l’État. Quand a-t-il tort et quand a-t-il raison, aux yeux de la légalité républicaine ? Est-ce quand il s’enferme dans l’inaction, ou quand il paraît vouloir agir ? quand il s’efface ou quand il se montre ? quand il parle ou quand il se tait ? quand il reste dans le néant ou quand il essaye d’en sortir ? C’est sur quoi les critiques officieux, qui les uns l’approuvent, les autres le réprouvent à des points de vue différens, feraient bien de se mettre d’accord ; — et quelque peu de goût qu’on ait pour la philosophie politique, c’est un point qui ne peut être tranché sans un peu de doctrine constitutionnelle.

C’est également un point qui ne peut être tout à fait tiré au clair si on ne se remet en mémoire de quelle suite de faits est sortie la Constitution de 1875, et en particulier quel état d’esprit a dicté celles de ses dispositions qui régissent le mode d’élection et définissent les attributions du Président de la République. Ce côté historique de la question ne peut être négligé, et c’est ce qui m’a fait penser qu’il pourrait y avoir quelque intérêt à rappeler à cet égard mes souvenirs, dont quelques notes prises sur le fait garantissent la fidélité. On trouvera peut-être que dans cet examen rétrospectif je remonte d’abord un peu haut, et à des