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comme nous allons le voir, y a-t-il certaines réserves à introduire.

Si peu que nous sachions de la biographie de M. Gerhart Hauptmann, — comme de celle des contemporains, — elle nous livre cependant le trait caractéristique de son talent, tel qu’il s’est développé jusqu’à cette heure. Comme nous l’avons vu, M. Hauptmann est l’homme d’une coterie : il est arrivé à point nommé pour servir de porte-drapeau à un groupe littéraire qui manquait de chef ; c’est le bruit fait par ce groupe autour de son nom qui l’a imposé au public, très vite, sans lui donner le temps de passer par les transitions salutaires qui séparent d’habitude la zone obscure où piétinent les débutans de l’éclat qui auréole les écrivains admirés et célèbres. Qu’on me comprenne bien : je ne cherche point ici à réduire l’importance de la jeune école allemande ; je ne songe pas à nier l’influence bienfaisante que la Scène libre a exercée, depuis quatre ans, sur le développement littéraire de l’Allemagne ; je reconnais volontiers que ce groupe compte parmi ses membres des hommes déjà remarquables, qu’il constitue peut-être ou probablement le noyau de la littérature de demain, qu’il a déjà produit des œuvres de valeur et qu’il en produira sans doute encore, ou, ce qui serait plus exact, que ses membres actuels en produiront, lorsque les mieux doués d’entre eux auront conquis leur indépendance. Il n’en est pas moins vrai qu’au moment où MM. Brahm et Schlenther ont ouvert leur jeune théâtre à M. Hauptmann et ont acclamé ses premières pièces, le groupe de la Scène libre était une coterie, organisée pour la défense d’un certain nombre d’idées, d’intérêts et de partis pris communs, et pour l’attaque des positions littéraires détenues par les maîtres de la génération précédente. Il n’en est déjà plus tout à fait de même aujourd’hui, où, après quelques victoires, la désagrégation paraît commencer. Mais c’était bien le cas en 1889, le soir d’octobre où l’on se querella à la représentation d’Avant l’aurore. Or, en tous temps et partout, les coteries produisent une littérature spéciale, dont les caractères ne varient pas beaucoup selon la diversité des latitudes.

Elles ont, d’abord, des programmes, qui se ressemblent tous. Leurs rédacteurs commencent invariablement par se proclamer « modernes », par annoncer qu’ils se proposent d’embrasser toutes les manifestations de la vie moderne. Ensuite, ils déclarent que leur but est la vérité. Sur ces deux points, le programme de la Scène libre, tel que nous le lisions dans le premier numéro de la revue, ne manque point à la règle : « Le droit de l’art nouveau, y peut-on trouver, est un mot : Vérité ; et Vérité dans tous les domaines que nous abordons. » Aussitôt après, d’ailleurs, selon la