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personnalité s’y manifeste aussi dans le relief qu’il parvient à donner à ses figures, dans l’art particulier de ses arrangemens scéniques, surtout dans l’incontestable intensité de vie à laquelle il parvient.


Dans le fait, la Fête de la paix, qui succéda à quelques mois d’intervalle, n’est qu’un décalque affaibli d’Avant l’aurore. C’est un drame de famille, de moindre envergure, d’un intérêt plus circonscrit, qui roule encore autour d’une question d’hérédité. Nous assistons aux ébats de cinq névropathes, le père, la mère, la fille et les deux fils, qui ne sont pas de méchantes gens, mais qui se tourmentent les uns les autres. Au moment où ils se croient réconciliés, une crise où il y a de la jalousie, de l’alcoolisme et de la folie, et qui se termine par la mort du père, les laisse remplis de remords, mais, sans doute, prêts à recommencer, puisqu’ils sont de pauvres victimes d’une loi fatale.

J’ai peine à croire que cette œuvre, incontestablement manquée, n’ait pas causé quelque déception aux admirateurs de M. Gerhart Hauptmann. Ils n’en convinrent pas ; elle servit même au lancement de la Scène libre, revue qui la publia dans ses trois premiers numéros ; et l’on attendit avec continuée l’œuvre nouvelle. Ce fut les Ames solitaires (Einsame Menschen), dont on parla beaucoup et qu’on admira d’avance. Avant que la pièce vît le jour, la Scène libre l’annonçait en termes assez significatifs pour qu’il soit utile de les reproduire :

« Le 4 ou le 11 janvier, la tragédie de Hauptmann Ames solitaires sera représentée sur la Scène libre. L’auteur a récemment lu sa pièce à un cercle d’intimes sur lesquels elle a produit la plus forte impression. Nous n’en communiquerons aujourd’hui que ce qui constitue un thème éternel dans la vie, et par conséquent toujours nouveau dans la poésie : il s’agit d’un homme entre deux femmes. Mais si, pendant notre période classique, qui affectionnait ce sujet, l’opposition des héroïnes reposait sur la différence des tempéramens… il s’agit ici d’une différence de culture intellectuelle, qui incarne les mouvemens de notre temps en figures typiques : d’un côté, la douce ménagère allemande, et de l’autre, la femme moderne, l’étudiante zurichoise tout imprégnée de vie actuelle. Entre ces deux figures, se trouve placé le héros du drame, un savant nerveux, spirituel, de grande volonté et de science incertaine, qui ne trouve pas dans son récent mariage le bonheur complet, et qui, dans le conflit de devoirs où il est engagé, doit finir d’autant plus tragiquement, qu’il est un de ces incomplets, d’une fine nature sensible, qui se brisent sur le seuil