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des rapports de l’Église et de l’Etat, et davantage des relations séculaires de l’Etat français avec l’Eglise de France ; — moins du Capital et du Travail, et davantage des conditions particulières de l’industrie française, de ses défauts et des moyens d’y remédier ; — moins des Classes laborieuses, de la Démocratie rurale, et davantage du tempérament spécial du paysan français, de l’ouvrier français, et de la manière de leur ouvrir des débouchés. En un mot je voudrais que tout homme mêlé aux affaires publiques appliquât à la lettre la belle devise des Vénitiens : Siamo Veneziani, poi christiani. Nous sommes d’abord Français, et ensuite libéraux, démocrates et même réformateurs, si nous pouvons.

C’est cette image d’une France concrète que nous restitue M. Hanotaux. Par-là, il représente une génération nouvelle, instruite par les événemens, munie de sens politique, et qui, sur tant de ruines, travaille à « reconstruire » la France, non sur la base unique des institutions consulaires, mais sur des fondemens plus anciens dont il vérifie la solidité. Il nous montre, dans l’histoire, l’union indissoluble de la patrie et de l’Etat, c’est-à-dire de l’amour et de la volonté. Il réfute ainsi, mieux que par des discours, ces doctrines relâchées qui estiment la contrainte inutile et la fraternité suffisante. Enfin, par l’exemple de son grand cardinal, il nous enseigne que la partie la plus divine de l’art politique n’est pas de « réformer », c’est-à-dire de remanier sans cesse l’économie du corps social, mais de « gouverner », c’est-à-dire de tendre vers l’action tous les muscles de ce grand corps.

Gouverner ! Entraîner les volontés vacillantes vers une œuvre d’utilité générale ! Elever l’intérêt de l’Etat au-dessus des passions, des rivalités et des convoitises ! Mettre dans ses desseins plus de suite, plus de persévérance, plus d’avenir que n’en comporte ordinairement la fragilité de la vie humaine ! Voilà ce qu’ont fait ces grands hommes de l’ancien régime dont les statues dominent encore l’accès du palais Bourbon. Leur figure un peu morose semble dire aux législateurs qui s’écoulent à leurs pieds : « Vous avez assez discuté sur l’assiette du pouvoir. Maintenant, faites comme nous : tâchez de vous en servir. »


RENE MILLET.