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parfaitement édifiés sur l’incohérence d’une société encore mal assise, nous ne risquons pas de prêter aux institutions une régularité factice, inventée après coup : en bon français de prendre des vessies pour des lanternes. Il est temps de pénétrer dans les greffes, d’éventrer les archives et de connaître les dessous de cette France si mobile. Sur cette partie de l’ouvrage, il y a deux opinions. Je suis de la seconde : voici la première.

L’auteur, nous dit-on, a bien dressé son plan, il l’a moins bien exécuté. Au début, il pose nettement son idée maîtresse : « Les douze siècles de l’ancien régime, dit-il, ont travaillé à constituer une nation moderne par la restauration de l’idée de l’État. » Voilà qui est clair. Nous allons donc assister à cette reconstitution de l’État. Nous le verrons successivement aux prises avec l’Eglise universelle, qui repousse de toutes ses forces le démembrement de la chrétienté, puis avec les nobles, les provinces et les villes, qui défendent pied à pied, d’abord leur indépendance, ensuite leurs immunités, franchises et privilèges. Du spectacle de cette lutte, se dégagera naturellement la position relative du clergé, des nobles, des provinces, par rapport à la royauté. Sur la défaite ou la victoire de ces antiques combattans, nous verrons se fonder un ordre social nouveau, dans lequel le privilège remplace l’autonomie, mais où les différentes classes occupent encore leurs positions de combat. Les États-Généraux nous apparaîtront comme le champ clos naturel de leurs prétentions, l’enceinte où elles se mesurent avec le pouvoir central, et cherchent inutilement une formule d’intérêt général qui concilie leurs intérêts contraires. Avec le triomphe définitif du roi, seul capable de les contenir et de les unir dans l’obéissance, se dessineront les linéamens de l’État moderne, et c’est alors que nous passerons en revue ses fonctions essentielles, guerre, justice, administration, finances, diplomatie, qui commencent à se distinguer les unes des autres. Le rôle de l’État au XVIIe siècle sera le couronnement de cette étude sur la formation de l’État français.

Cependant M. Hanotaux n’a pas suivi cet ordre. A peine a-t-il parlé de la conquête territoriale, qu’avant même de nous faire l’histoire des résistances locales, il passe brusquement à la description des grands services publics, qu’il appelle improprement « les instrumens de la domination. » Il revient ensuite péniblement à la genèse du privilège, de sorte qu’après avoir eu l’avantage de causer familièrement avec Henri IV et Lesdiguières, nous voilà forcés de retourner jusqu’aux temps barbares et de chercher l’origine des fiefs dans le fumier des villas mérovingiennes. Ces retours en arrière sont fatigans. On se croit parvenu au terme du voyage et tout est à recommencer. Même défaut de composition