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était le chef nominal. Plusieurs des escadrons de ce régiment s’étaient conduits bravement. Le tribunal d’honneur avait rendu en sa faveur un verdict favorable. Frédéric-Guillaume III n’en persista pas moins à répartir les divers escadrons entre de nouveaux corps ; Boyen ne sait au juste si le motif de cette rigueur fut dans l’antipathie personnelle que le roi éprouvait pour Blücher, comme pour toutes les personnalités accentuées, ou s’il ne faut pas le chercher plutôt dans l’éloignement que le souverain ressentait depuis longtemps pour l’uniforme rouge et argent du régiment condamné. Blücher n’était pas homme à subir sans protester un affront immérité et le sentiment de la discipline monarchique n’était pas tel alors que le vieux prétorien se crût tenu d’étouffer sa protestation. Lorsqu’en décembre 1809 le roi, rentrant à Berlin, s’arrêta à Stargard et que Blücher dut aller au-devant de Frédéric-Guillaume, il revêtit l’uniforme détesté de son ancien régiment et se présenta dans cette tenue prohibée. Ce ne fut pas, parait-il, dans la querelle qui suivit, le roi qui eut le dernier mot.

Absorbé par ces minuties, Frédéric-Guillaume offre en 1809, comme depuis 1806, le spectacle d’une volonté désemparée et d’une incapacité maussade. Au lendemain de la chute de Stem, à peine délivré de son joug, en janvier 1809, il se rend avec la reine à Saint-Pétersbourg ; il accomplit ce voyage de Russie, si ardemment souhaité, qui apportait quelque diversion aux ennuis de Königsberg, et que les patriotes avaient redouté et combattu ; mais il n’y puise même pas la résolution de rester fidèle à l’alliance russe.

Tant que la guerre n’a point éclaté entre la France et l’Autriche, Frédéric-Guillaume III tient pour la neutralité et suit les conseils du tzar. Ebranlé par la déclaration de guerre, par les premiers événemens, par les ouvertures pressantes de l’Autriche, il admet peu à peu l’idée de l’alliance autrichienne et d’une participation à la guerre contre la France. « En supposant », écrit-il à Goltz vers le milieu de mai 1809, « en supposant que nous soyons garantis du côté de la Russie, en supposant que l’Autriche tienne et persévère, en supposant que nous ayons complété nos préparatifs, je suis résolu à prendre part à la lutte[1]. »

En Prusse, l’affaiblissement du sentiment monarchique est sensible. L’éloignement entre la nation prussienne et la dynastie des Hohenzollern est plus marqué qu’il ne l’a peut-être été à aucune autre époque. Au printemps de 1809, le roi est tout à fait

  1. A. Stern. Abhandlungen und Aktenstücke zur Geschichte der preussischen Reformzeit, 1807-1815, p. 66.