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qui est plus singulier, à la veille des événemens que l’on sait, rien sur les anciens États-Généraux et sur les causes de leur insuccès. Rien sur les complications du droit civil dans lesquelles l’Assemblée constituante devait porter tant de lumière. Par un oubli encore plus étrange, dans ce tableau trop rapide de l’ancien régime, le roi, le clergé et les nobles figurent seuls au premier plan. La classe moyenne et le peuple n’entrent en scène que beaucoup plus tard, à propos de la propagande révolutionnaire, comme s’ils ne jouaient presque aucun rôle dans les siècles précédens. On trouve même cette affirmation extraordinaire que « la disette des idées et la modestie du cœur confinaient le bourgeois dans son enclos héréditaire ». Il ne s’intéresse pas aux affaires publiques, qui sont « les affaires du roi ». Ainsi celle bourgeoisie qui, dès Louis XI, que dis-je ? dès Charles V, dès Philippe le Bel, est appelée par le roi dans ses conseils et associée de si près aux affaires, cette bourgeoisie qui peuple les parlemens, l’administration, les évêchés, les ambassades, qui, par les intendans, déloge partout les nobles, cet immense Tiers-État dont la magistrature, les traitans, les officiers publics, ne forment que l’avant-garde et la tête de colonne, cette classe moyenne, dans les profondeurs de laquelle ont couvé, du sein de laquelle ont jailli toutes les idées mères de la Révolution, — car Voltaire, Diderot, Rousseau et les autres, étaient, je pense, des roturiers, — cette classe enfin dont on peut dire qu’elle détient, avec les sceaux, le secret d’État de nos princes et les règles de leur gouvernement, devient, pour les besoins de la cause, une quantité négligeable, jusqu’au jour où elle subit « l’embrasement tardif » d’un incendie, qu’elle avait pourtant allumé elle-même ! Mais il fallait, pour la régularité du système, que la « doctrine », produit dangereux de la raison raisonnante, et dont on rend responsables Racine et Boileau qui n’y pensaient guère, s’enflammât au contact de la « science », se répandît des livres dans les salons, des salons à « l’entresol bourgeois », et de l’entresol dans la rue. Alors la cascade est complète et s’épanche avec une régularité qui rappelle à son tour l’âge classique.

Sous l’empire d’un tel parti pris, l’historien ne saurait traiter avec sang-froid les matières d’État ; et de fait, dans ce gros volume sur l’ancien régime, où il est question de tout, des mœurs, des caractères, de la tragédie, de la philosophie, de la société, de la conversation, des fermages et du prix du pain, ce qu’on trouve le moins, ce sont les affaires publiques. Pas un mot sur l’aspect général du territoire, ses limites, ses lacunes et ses inégalités. Du mauvais état des finances, on ne voit que les effets sociaux et non les causes. De l’armée, de la justice, de l’administration, il n’est question qu’en passant, et toujours pour étudier la marche de la