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Stein a été la résultante des circonstances qui pesaient alors sur l’Europe, et non point la suite d’une faiblesse de Frédéric-Guillaume III. Ce fut un effet beaucoup plutôt qu’une cause.

Il est même assez singulier de constater que, malgré les apparences d’une cassure brusque dans la politique prussienne, l’on y retrouve, avant et après la chute de Stein à peu près les mêmes attitudes, les mêmes velléités, les mêmes hésitations.

En 1808, au moment critique, alors qu’il s’était agi de prendre un parti déclaré, Stein lui-même, quelles que fussent son énergie et sa vigueur apparentes, n’avait point osé assumer la responsabilité d’une résolution extrême. En revanche, comme nous allons le voir, ses successeurs, quelles que fussent leur atonie et leur humilité, n’osèrent jamais conseiller au patriotisme prussien une abdication sans réserve.


I

En 1809, par un phénomène nouveau, les espérances des patriotes allemands se rattachent pour un instant à l’Autriche. L’Autriche est secouée par les idées d’indépendance. C’est une province autrichienne incorporée à la Bavière, c’est le Tyrol qui montre dans ses efforts de révolte, trois fois réprimés, trois fois renouvelés, autant de vigueur nationale qu’aucun peuple en ait jamais montré. Stadion est le protagoniste de la cause européenne, et l’archiduc Charles, qui sera si impopulaire après Wagram, est acclamé après Essling comme le vainqueur de l’Invincible[1].

Le jeune rejeton de ces Habsbourg, traîtres tant de fois à la cause de l’Allemagne, semble retrouver sur son front quelques rayons de la couronne impériale qu’il vient de déposer, et, sur la terre classique de l’influence prussienne, l’idée de la nationalité allemande domine à tel point les esprits qu’ils semblent prêts à lui faire même le sacrifice de la prépondérance prussienne. De vrais Prussiens : Stägemann, Arndt, Kleist, ont adopté un cri de guerre désintéressé et paradoxal : « Autriche et liberté[2]. » La noblesse des Marches, la vieille caste militaire du cœur de la Prusse, du terroir de Brandebourg, se sent emportée par un attrait irrésistible sous les drapeaux de l’Autriche[3]. A peine Marwitz, le type classique du hobereau, résiste-t-il dans son patriotisme étroit au

  1. Le mot est de Kleist. Treitschke, Deutsche Geschichte, I, p. 342.
  2. Lehmann, Scharnhorst, II, p. 265.
  3. Lehmann, Scharnhorst, II, p. 263. Treitschke, Deutsche Geschichte, I, p, 341. Droysen, Das Leben des Feldmarschalls Grafen York von Wartenburg, I, p. 170.