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de ramasser tous les pouvoirs dans une main, tout en accroissant les droits de l’Etat. Vieux remèdes qui n’ont jamais guéri personne. Le mal, qu’on ne s’y trompe point, n’est pas toujours imputable à la liberté ; les gouvernemens en sont, pour une bonne part, responsables. Les gouvernemens, ou les gouvernans ont beaucoup fait pour corrompre la presse, les Chambres, les électeurs. Ils ont employé, à cette œuvre de démoralisation publique, les subventions, les décorations, les faveurs de l’Etat. La vénalité a été, pour eux, un procédé de gouvernement. Les fonds secrets qui révoltaient nos pudeurs enfantines ne suffisent plus. En France, en Allemagne, on Italie, pour ne parler que de l’Europe, il a fallu inventer d’autres ressources. Nous avons entendu des ministres de la République se vanter d’avoir fait tomber, de préférence, sur leurs amis, la pluie d’or répandue par les courtiers des syndicats sur les journaux. De plus grands hommes n’ont pas dédaigné ces petites manœuvres. La presse de la vertueuse Allemagne n’a-t-elle pas, durant vingt-cinq ans, savouré la manne du fonds des Guelfes, du fonds des reptiles, artistement distribué par ce grand tentateur de Bismarck ? L’Italie a eu sa crise des Banques et son Panamino, plus grave peut-être en réalité que son homonyme français. C’est que, en politique aussi, l’argent trop souvent est le nerf de la guerre. Presque partout, sur le continent, les hommes ou les partis au pouvoir ont noué de louches alliances avec les financiers ; et, qu’on le remarque bien, si les banques ou les sociétés industrielles font parfois la loi aux gouvernemens, c’est, plus souvent peut-être, les gouvernemens qui exploitent les compagnies privées et les banques ; témoin le Panama et le Panamino. Comme les extrêmes se touchent, on retrouve parfois dans nos démocraties les plus coupables pratiques des gouvernemens d’ancien régime : pour obtenir la protection des lois, il faut acheter la connivence des hommes en place. Ainsi trop souvent, chez nous, depuis le règne du syndicat électoral de la concentration républicaine. En pareil cas, ce n’est ni des particuliers, ni des compagnies, que vient l’initiative de la corruption, c’est des représentans du pouvoir. Les mains qui payent sont ouvertes de force par la main qui reçoit : le vrai corrupteur, c’est le corrompu.

Après cela, que dire des autres remèdes préconisés des empiriques ? Faut-il parler de la révision ? La corruption politique n’est qu’une éruption du virus intérieur : comment la guérir avec une révision constitutionnelle ? En France, on est toujours enclin à chercher le salut dans une modification de la machine gouvernementale, comme si les textes de loi avaient une vertu curative. Qu’on ramène sénateurs et députés à leurs attributions