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gouvernement et la Chambre d’un côté, et le Sénat de l’autre, un désaccord inopiné, au moment même de partir en vacances. Ce désaccord a été bientôt suivi d’une entente ; mais qui sait s’il ne renaîtra pas lorsqu’il s’agira d’organiser le ministère qu’on vient de voter ? Fallait-il le faire ? A quoi bon se le demander aujourd’hui, puisque nous sommes en face d’une décision prise, et même d’un fait accompli ? Il y a un an, l’ancienne Chambre et le Sénat estimaient d’un commun accord que cette création était au moins prématurée et qu’il était plus sage de l’ajourner. Le sous-secrétariat d’État des colonies, malgré les défauts inhérens à l’institution, semblait un instrument de transition en rapport avec l’état actuel de notre domaine d’outre-mer. La proposition de l’ériger en ministère, qui vient de triompher dans la Chambre nouvelle, n’avait eu aucun succès auprès de sa devancière, et toute la question était alors de savoir s’il valait mieux le rattacher à la Marine ou au Commerce. Le Sénat était partisan du premier système, la Chambre l’était plutôt du second. En fait, les colonies faisaient la navette entre les deux départemens, suivant des convenances de personnes dont le public ignorait le secret, quelquefois piquant : tout ce qu’il pouvait voir, c’est que les colonies ne tenaient à rien, sinon pour la forme, et que le sous-secrétaire d’État était une sorte de ministre au petit pied. Son indépendance était assurée par la répugnance invincible avec laquelle le ministre en titre refusait, quel qu’il fût, de s’occuper de ses affaires.

Naturellement, tous les sous-secrétaires d’État des colonies n’avaient qu’une idée, qui était de devenir ministres eux-mêmes, et ils ne manquaient pas de raisons spécieuses à faire valoir. L’importance si considérablement accrue de nos colonies, la variété des opérations qu’on y poursuit, la nécessité d’y mettre de l’unité et, en même temps, d’y apporter une impulsion vigoureuse, plaidaient ou pouvaient être plaidées en faveur d’un nouveau ministère. Néanmoins les Chambres reculaient devant la réforme. L’esprit d’entreprise du sous-secrétariat d’État inspirait des inquiétudes : on se demandait si ces tendances ne s’accentueraient pas en proportion du grade nouveau auquel serait promu une administration déjà très remuante et même un peu indisciplinée. Si quelques-unes de nos colonies sont pour nous des possessions anciennes et assimilées dans toutes leurs parties, il n’en est pas de même de toutes. Sur beaucoup de points de l’Afrique et de l’Asie, la conquête militaire ou la pacification intérieure n’est pas terminée. Sur d’autres, la tâche de notre diplomatie est incessante, à la fois compliquée et ardue. Créer un département ministériel qui, par la logique même de l’institution, doit tendre à réunir entre ses mains les pouvoirs et les forces d’un gouvernement complet, et dessaisir par conséquent les autres ministères de ce qu’ils en détiennent et en exercent encore, c’est une épreuve délicate. Le parlement, jusqu’ici, n’avait pas