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appelle un bon père de famille. Or le bon père de famille ne ressemble pas au père de famille tel que le comprenait le droit romain, qui devait vendre, suivant Caton, tout ce qui était inutile, la vieille ferraille et les vieux esclaves. L’État moderne a des obligations vis-à-vis de ceux qui dépendent de lui. Il doit donc être charitable, et il l’est en fait. Mais il l’est souvent maladroitement et incomplètement : maladroitement, parce que les agens qu’il emploie sont médiocres ; incomplètement, parce qu’il n’a pas les ressources suffisantes. Les agens que l’État emploie. — et par le mot État j’entends ici aussi bien les municipalités que le gouvernement proprement dit, — sont inévitablement et sauf exception médiocres, parce que la plupart font par obligation et par routine une besogne assez ingrate qui devrait être faite avec cœur et avec entraînement. Ils le sont devenus surtout depuis que l’esprit sectaire s’est emparé de l’État, même et surtout, pourrait-on dire, en matière de charité. Je ne voudrais pas que la politique parût inspirer les conclusions de ce travail, mais aucun homme de bonne foi ne peut nier qu’en écartant par exemple systématiquement des bureaux de bienfaisance des hommes qui avaient consacré leur vie à l’exercice de la charité, et en se privant volontairement de ces admirables instrumens qui s’appellent des sœurs, nos fanatiques édiles n’aient, à Paris en particulier, gravement compromis l’exercice de la charité. Les scandales récens qui ont amené devant les tribunaux un certain nombre des nouveaux administrateurs et l’effroyable gaspillage dont, à en croire les documens administratifs, nos hôpitaux sont le théâtre, en fournissent surabondamment la preuve.

À ces inconvéniens de la charité publique, telle qu’elle s’exerce actuellement, il serait facile de porter remède en faisant juste le contraire de ce qui a été fait depuis vingt ans. Mais elle demeurera toujours incomplète tant qu’elle ne sera pas assurée de ressources permanentes. Or elle ne pourra être assurée de ces ressources tant que nos législateurs n’auront pas pris bravement leur parti d’établir dans notre législation financière ce que j’appellerai le centime charitable. L’association de ces deux mots peut étonner, mais comme il n’est jamais trop tôt pour lancer une idée hardie et paradoxale qui, si elle est relevée, suscitera assurément beaucoup de contradicteurs, je demande la permission d’expliquer ce que j’entends par là.

Lorsqu’il y a quelque soixante ans un gouvernement, soucieux de développer la prospérité publique, voulut développer en France le réseau de la vicinalité, par la loi du 21 mai 1836 il autorisa les conseils municipaux à grever leur budget d’un ou plusieurs