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vivant, sans tenir compte des élémens libres et insaisissables dérobés au calcul, son regard redevient très sûr lorsqu’il l’applique au jeu des institutions, qui est un problème de mécanique.

Or, depuis bientôt un siècle, la « machine de l’an VIII » exécute le travail voulu par son inventeur. Avec très peu de changemens. N’objectez pas qu’elle a été corrigée par des enveloppes différentes, chartes, constitutions libérales, gouvernemens parlementaires : ces modifications, considérables en apparence, sont tout extérieures et n’entament pas la puissance continue de l’engin. Un droit de suffrage exercé de loin en loin, des libertés politiques dont l’usage n’est intéressant et journalier que pour le petit nombre, des relâchemens temporaires dans l’impulsion centrale, tous ces accidens comptent peu si on les compare à l’action automatique, universelle, incessante des rouages vraiment efficaces de la machine, administration, école, église, famille. Ces rouages, véritables conformateurs de la nation, ils obéissent encore à la pensée de Bonaparte et servent l’intention principale que Taine a dénoncée : rendre Bonaparte inévitable et maître de tout. Sans doute la transformation démocratique apporte de grandes perturbations dans un outillage qui n’avait pas été fait pour ce nouvel état social ; et il faudra bien aviser à créer pour la démocratie des organes mieux appropriés à son développement, si l’on ne veut pas qu’elle étouffe dans les anciens ou qu’elle les saccage. Mais les conséquences de cette transformation sont lentes à se produire ; en tout cas, elles frappent rarement et faiblement l’attention des classes dites dirigeantes, encore fabriquées selon la formule et par les instrumens de l’an VIII. Aussi, par un instinct logique plus fort que les répulsions politiques, cette société réclame de temps à autre le moteur absent de la machine qui l’a engendrée. La fiction impersonnelle de l’Etat ne le remplace point. Les institutions de ce peuple le façonnent pour une fin qu’il n’accomplit pas ; il le sent confusément ; et, comme elles ont diminué en lui l’énergie nécessaire pour briser l’armature où Napoléon enferma les générations à venir, il appelle inconsciemment le mécanicien sans lequel la mécanique coutumière n’a plus de raison d’être. C’est ainsi que Taine triomphe sur le fond, alors même qu’on révise les considérans de sa sentence sur le grand Empereur, qui savait seul diriger la machine à servitude.


II

Le chapitre de l’Eglise, quand la Revue le fit connaître, provoqua dans le monde religieux des discussions passionnées et,