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portait que sur un point restreint, mais il se rattachait à tout le mouvement littéraire et artistique de ces trente dernières années ; aussi ne pouvait-il manquer de donner des résultats, et de trouver des soutiens et des émules, tandis que la thèse tout opposée de la simplification absolue du décor et de tout le côté réaliste, soutenue par des essais pratiques faits à Munich pour des représentations de Shakspeare, malgré toutes les bonnes raisons aussi qu’on peut donner pour la justifier, ne semble pas présentement en voie de trouver de nombreux partisans.

Une littérature plus particulièrement réaliste cherchait à naître en Allemagne depuis une dizaine d’années. Pour quelle s’affirmât au théâtre, et qu’elle influençât dès lors tout l’art scénique, il ne manquait qu’une occasion ; mais on était mûr pour l’accueillir. Cette occasion, elle fut en partie fournie par la faveur qui accueillit en France un mouvement analogue dans nos théâtres, mouvement qui s’est tout d’abord affirmé avec beaucoup de netteté dans les tentatives du Théâtre-Libre fondé par M. Antoine, et qui, depuis, s’est fait plus ou moins sentir partout, qu’on veuille ou non l’avouer, qu’on s’en félicite ou bien qu’on le regrette. Berlin eut aussi ses théâtres libres ; et partout depuis ce jour, consciemment ou inconsciemment, le mouvement réaliste gagne peu à peu la scène pour les pièces modernes, comme il avait déjà commencé de la gagner pour les pièces historiques, à la suite du Théâtre des Meininger.

Je n’entreprendrai pas d’énumérer les moyens et les procédés par lesquels se manifeste et s’affirme sur la scène ce mouvement. Ce sont là des détails qui ne pourraient intéresser que les seuls régisseurs de théâtre et les comédiens. Au reste, c’est là la chose la plus simple à s’imaginer, pour peu qu’on soit allé quelquefois dans les théâtres. Je ne discuterai pas non plus, je l’ai dit, les avantages ou les inconvéniens de cette conception de l’art. Je ne veux plus en terminant que signaler l’étroite corrélation, toute naturelle, qu’il se trouve y avoir entre elle et les qualités que j’ai cru remarquer comme étant les plus générales parmi le public allemand ; et du fait même de cette corrélation il faudra bien conclure que le théâtre, en Allemagne, peut être regardé comme venant d’entrer dans une période favorable. Évidemment c’est surtout en se plaçant au point de vue allemand, qu’on le jugera ainsi ; mais pour bien juger les choses, ne doit-on pas toujours commencer par faire abstraction de soi, ou tout au moins ne pensera soi que pour établir plus rigoureusement, par l’examen des différences ou des analogies, les traits caractéristiques de ce qu’on a prétendu étudier ? C’est là tout ce que j’ai essayé de faire ici.


JEAN THOREL.