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si Shakspeare avait été un admirable poète dans quelques-unes de ses œuvres, il n’y avait en revanche, selon lui, rien de plus ennuyeux ni de plus insupportable que tous ses drames historiques et ses comédies. Il se trouva que vers le même temps où je reçus cet aveu audacieux, il y eut au théâtre un « cycle » de Shakspeare, et je vis que mon contempteur de Richard III et des Joyeuses Commères de Windsor ne manqua pas de suivre avec la plus extrême régularité toutes les représentations, « parce que, m’expliquait-il ensuite, si fatigantes que soient certaines de ces œuvres, il peut s’y trouver des détails qui aident à mieux comprendre et à mieux goûter les vrais chefs-d’œuvre du maître. » Pour être juste, il faut ajouter que le gros du public ne devait pas y chercher tant de mystère, et qu’il assistait à ces représentations tout simplement parce que cela l’intéressait. Mais il en ressort, comme je le disais, que ce public, pour une raison ou pour une autre, s’intéresse à plus de choses que ne le fait notre public français.

Cet instinct de l’Allemand, qui le porte à raisonner sur toute chose, contribuera à lui faire encore et toujours considérer le théâtre, bien plus que nous ne le faisons, comme on ne cessait de le représenter autrefois ; j’entends comme une école des mœurs. Aussi y aura-t-il en Allemagne bien plus de critiques moralistes que chez nous, bien plus de plaintes encore que nous n’en formons sur l’extension que prennent de jour en jour, surtout dans les grands centres, les spectacles d’un genre inférieur, les bas vaudevilles, les opérettes, les grosses farces, les chansons grossières. On se préoccupe davantage aussi de la portée morale et sociale de toute œuvre qui prétend au rang d’œuvre d’art. Sans toujours vouloir y trouver une leçon directe, ce qui serait puéril, on se préoccupe évidemment d’une manière plus générale, sinon plus vive, que nous ne le faisons, de cette idée qu’un enseignement profond, salutaire ou funeste, encore qu’il reste souvent imprécis, et surtout que les effets en soient impossibles à constater directement, finit toujours par se dégager de toute interprétation de la vie par l’art. Pratiquement, chacun de ceux qui ont une influence quelconque cherche à diriger cet enseignement selon ses vues propres et ses désirs de domination et d’apostolat. On sait la haute protection maintes fois accordée par l’empereur Guillaume II à des drames historiques, composés en vue de glorifier la race, les origines et les destinées des Hohenzollern. Des représentations classiques sont organisées pour la jeunesse et l’enfance, non pas tant pour tenir lieu de leçons de littérature qui aident à préparer plus facilement un examen, que pour faire entendre <le beaux vers et de belles pensées à ces jeunes auditeurs. J’ai aussi assisté à Berlin à diverses sortes de représentations populaires fort curieuses. J’ai vu par exemple une sorte de féerie scientifique assez analogue à celles que M. Figuier a tenté vainement de faire admettre