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impressionné, est plus long à se prononcer pour l’éloge comme pour le blâme.

J’aurais vingt exemples à en donner, à commencer par celui que peuvent me fournir toutes leurs représentations classiques. Je me rappelle encore la première à laquelle j’assistai, l’Iphigénie de Goethe, au théâtre royal de Carlsruhe. La salle était comble, la représentation fort convenable, mais je ne me souviens pas d’avoir vu nulle part un public plus morne ni plus froid. J’avais un voisin de stalle qui m’intéressait particulièrement par l’expression navrée de sa physionomie. Cet homme évidemment paraissait s’ennuyer au-delà de toute mesure, à tel point que vers la fin de la soirée je me décidai à lui adresser la parole, pour tâcher de l’égayer un peu et de l’arracher au cauchemar spleenétique où il semblait plongé. Tout naturellement je voulais parler d’autre chose que d’Iphigénie ; mais il ne m’en laissa pas le loisir ; et je ne fus pas peu surpris de l’entendre aussitôt profiter de l’occasion qui lui fournissait un interlocuteur, pour s’épancher en effusions enthousiastes sur la beauté de la tragédie que nous venions de voir représenter. Il me demanda même la permission de m’accompagner jusqu’à mon hôtel pour avoir le temps de me développer d’une manière plus ample toutes les raisons qu’il y avait d’admirer cette Iphigénie ; pour m’exprimer sa joie de voir le public allemand suivre toujours avec ce qu’il appelait la même ardeur les représentations de ses classiques, et me démontrer par-là les chances indéniables qu’avait ainsi l’Allemagne de conquérir définitivement et de conserver à jamais l’empire du monde. Sans doute mon interlocuteur de ce soir-là allait un peu loin dans ses conclusions, mais il avait raison en me disant que ce public qui m’avait tout d’abord paru froid était simplement réfléchi et respectueux. Tous ces gens n’étaient pas venus au théâtre pour y chercher directement une émotion, mais pour y corroborer par une audition nouvelle quelques-unes des raisons en nombre infini qu’on ne cesse de leur donner pour augmenter chaque jour leur admiration pour le génie de Gœthe.

Il en ira de même pour des pièces modernes et nouvelles. Se taire, réfléchir et juger, telle semble être la règle. M. Bruno Wille, qui a fondé une sorte de théâtre d’enseignement populaire, dont je reparlerai, a demandé aux spectateurs satisfaits des représentations de ce théâtre de ne pas applaudir, même à la fin des pièces, pour éviter de blesser les sentimens des personnes qui pourraient être d’un avis contraire. On sait qu’à Bayreuth non seulement on n’applaudit pas du tout pendant la représentation, pour ne la troubler en rien, ce en quoi on a mille fois raison, mais encore que les applaudissemens à la fin des représentations ne tendent à devenir d’usage que depuis l’invasion du théâtre de Wagner par les étrangers. J’assistais le 14 novembre dernier à la première de l’Assomption de Hannele Mattern, de M. Gerhart