Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/655

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Charles Cros, reproduisant les couleurs par des tirages superposés, sans employer de méthode directe, ni surtout efficace. Cependant Cros était un esprit merveilleusement doué, au point de vue du génie inventif. Il eut des idées sur tout. Il fut l’un des premiers, sinon le premier, à songer au phonographe. Il s’attacha à la transmission des images à distance. De temps en temps, il se borna même à inventer des choses d’un ordre plus simple et plus positif, telle que sa fameuse pâte dont une petite boîte microscopique devait fournir de l’encre à tout un lycée pendant un an !

Un jour il alla trouver son père, qui professait pour lui une admiration sans bornes. Lui montrant un manuscrit qu’il tenait sous le bras, il lui dit avec émotion : « Père, je viens de faire une découverte qui va troubler le monde. J’ai là, dans ce manuscrit, un procédé qui supprime à jamais la mortalité humaine. » Le père devint tout pâle : « Mon fils, dit-il, tu ne feras pas cela ! Songe aux conséquences que cette découverte peut avoir ! C’est la misère humaine, sans remède. Donne-moi ce manuscrit, que je le détruise sur-le-champ. » Et, d’une main tremblante, il s’empara des feuillets que lui tendait son fils et les jeta au feu.

Charles Cros n’a pas su utiliser pour lui-même le secret de la vie perpétuelle. Il est mort vers 1890. Mais en dehors des formes extravagantes que revêtait son esprit inventif, il eut, et notamment sur la photographie des couleurs, des idées qui étaient parfois justes, et dont le seul tort était de n’envisager jamais la solution des problèmes par leur véritable côté.


II

Ce que l’on n’a pu obtenir avec aucune méthode chimique, M. Lippmann l’a réalisé avec la théorie des mouvemens vibratoires.

Qui n’a vu flotter en l’air des bulles de savon lancées par une main d’enfant ? Dans l’épaisseur des lamelles liquides, et parfaitement incolores par elles-mêmes, se détachent des couleurs d’un rare éclat. Toutes les fois qu’un corps transparent est disposé en une lame très mince, il apparaît avec des couleurs irisées, quoiqu’il soit formé d’une substance incolore. Cette coloration tient à ce que la lumière réfléchie sur les deux faces de la lamelle n’a pas parcouru la même distance. En d’autres termes, la lumière intervient, par sa réflexion sur chacun des deux plans qui limitent la lamelle. Il en résulte que les rayons lumineux s’entre-croisent et donnent lieu à un phénomène qui s’appelle l’interférence. En examinant de près les teintes brillantes des bulles de savon, on ne tarde pas à y reconnaître les différentes couleurs du spectre.