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C’est toi, toi seul que je désire…
Et tu reviendras dans mes bras ! »

Et l’œil de Raoula lance dans sa furie
Un dard chargé d’amour et de charme infernal.
Il touche au cœur l’enfant épouvanté, qui crie :
« — O divin Baghavat, sauve-moi de ce mal ! »
Le Bouddha que le cœur des mondes illumine
Répondit d’un regard profond comme les mers :
« — Je t’ai montré la voie, Anannda, va, chemine.
Pour comprendre la Vie immortelle et divine,
L’homme doit vivre la Douleur de l’Univers. »


III. RÉDEMPTION D’AMOUR


Or le Bouddha quitta la terre
Pour le Nirvana glorieux ;
Le disciple — en sa tache austère —
Vécut humble et silencieux,
Mais dans son âme tendre et pure
Brûlait, éternelle torture,
La courtisane et son regard,
Et lorsqu’il arrachait ce dard
De la blessure encore saignante,
La flèche y rentrait, lance ardente
De souffrance aiguë et d’amour.
Voici qu’en prêchant la parole
Du maître divin qui console
Il entra seul dans Hadinour.

Sur la place écumait une foule houleuse
Autour d’un échafaud, hurlant : « C’est Raoula ! »
Des bourreaux y traînaient une femme anxieuse,
Et le peuple criait : « La voilà ! la voilà ! *
Coupez-lui pieds et mains ! » Les bourreaux la saisirent.
La lièrent au bloc muette de terreur.
Une hache brilla ; les chairs en tressaillirent,
Et dans l’air déchiré des cris affreux jaillirent…
La moelle dans les os en frissonnait d’horreur.