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se présente, exhorte les citoyens au calme, propose d’aller prendre les ordres du Conseil général de la Commune. « Non, non, c’est une caverne, pas là, allez à la Convention ! » Pressé de toutes parts, Chambon se décide à écrire une lettre pour celle-ci, et Lava, escorté du peuple, se rend à la Convention, dénonce la Commune, rapporte, grâce aux girondins, un décret motivé sur ce qu’aucune loi n’autorise les corps municipaux à violer la liberté des théâtres.

Cet échec ne décourage nullement la Commune, qui riposte en déclarant que les théâtres seront fermés le 14 janvier. Consultée de nouveau, la Convention s’en rapporte au conseil exécutif (le ministère) qui permet aux théâtres de jouer, mais enjoint d’éviter la représentation « de pièces, qui jusqu’à ce jour ont occasionné quelques troubles et qui pourraient les renouveler dans le moment présent ». (On était au plus fort du procès de Louis XVI.) Le 16 janvier, Pétion attaque l’arrêté ministériel qui, remarque-t-il, va contre le décret de la Convention, Guadet défend l’Ami des lois, Dubois-Crancé déclare que les principes en sont bons, mais que le but de l’auteur est perfide. Quant à Danton, qui n’aime guère les Girondins, et peut-être moins encore Robespierre, « un bougre incapable de faire cuire un œuf, » il tente une diversion, s’écrie de sa voix tonnante : « Il s’agit de la liberté ! Il s’agit de la liberté que vous devez donner aux nations ; il s’agit de faire tomber sous la hache des lois la tête d’un tyran, et non de misérables comédiens ! » Enfin Pétion l’emporte, et malgré quelques nouveaux incidens, l’Ami des lois ? est joué jusqu’au 4 février ; mais alors Dazincourt, au nom de ses camarades, supplia le parterre « de ne pas exiger qu’on représentât plus longtemps un ouvrage dont les suites pourraient leur devenir funestes[1]. »

En effet, le club des Jacobins et la Commune d’avance avaient marqué leur proie, n’attendaient plus qu’un prétexte pour se venger ; six mois après, Paméla le leur fournit ; et cette fois la Comédie ne pouvait plus compter sur les girondins, la Montagne dominait la Convention. Si la pièce de François de Neufchâteau n’avait point le caractère d’une satire, les événemens, le public, les acteurs le lui donnèrent ; ceux-ci cependant, jouaient sagement, sans effacer l’auteur pour se mettre à sa place, sans chercher

  1. Henri Welschinger, Étienne et Martainville, Arnault, Fleury, ouvrages déjà cités. — E. Jauffret, Le théâtre révolutionnaire, 1788-1799. — Detcheverry, Histoire du théâtre de Bordeaux. — Six mois après, Laya, mis hors la loi, dut se cacher et fut sauvé par le 9 Thermidor. Danton, qui l’avait connu, se présenta chez sa femme et lui dit : « Citoyenne, si ton mari n’a pas d’asile, qu’il en accepte un chez moi, on ne viendra pas l’y chercher. » Le trait fait honneur à cet homme capable d’exécuter tour à tour des choses grandes et atroces.