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Commune, sociétés populaires, sections, viennent en aide aux comités, dénoncent dans la presse et au club des Jacobins le Fénelon de Chénier, le Modéré de Dugazon, s’attribuent le droit de rappeler à l’ordre, de mettre au pas les infortunés directeurs : jusqu’aux auteurs refusés qui en appellent de leur tyrannie aux braves sans-culottes, parfois on pleine représentation. Et voici venir une série de mesures significatives : décret du 2 août 1793 qui prescrit de représenter trois fois par décade des tragédies républicaines, telles que Brutus, Guillaume Tell, Caïus Gracchus ; — décret du 2 août qui autorise les conseils à diriger les spectacles, car il n’est personne, opinait Delacroix, qui, en sortant d’une représentation de Brutus ou de la Mort de César, ne soit disposé à poignarder le scélérat qui tenterait d’asservir son pays ; — le 20 ventôse (10 mars 1794), arrêté du Comité de Salut public qui prescrit la réouverture du théâtre ci-devant Français fermé depuis plus de six mois, la mise en réquisition des artistes des autres scènes pour y donner tour à tour, trois fois par décade, des spectacles gratuits, de par et pour le peuple : nul n’y sera admis s’il n’a une marque particulière accordée aux seuls patriotes ; et, ces spectacles civiques, on les inaugurera dans chaque commune dotée de théâtres, le ministre de l’intérieur disposant pour cela d’un crédit de cent mille livres ; — arrêté de messidor nommant, pour les salles de l’Opéra et de l’ancien Théâtre-Français, un agent national chargé de surveiller recettes, paiement, administration, service, conduite publique, morale et politique des artistes. Et les citoyens des tripots lyriques et comiques n’auront qu’à bien se tenir ; car je lis dans un carnet de Payen : « Où donc a dîné Chéron le 18 ? Il joue abominablement. Pourquoi Vestris, Gardel, Adrien, Lays, premiers acteurs pour la sans-culottide, se trouvent-ils malades en même temps ? »

Avoir perdu les bienfaits de la cour, végéter piteusement, embourser les sarcasmes et les injures des tape-durs, se soumettre à leurs caprices, voir les perruques, les rubans, les canons et la poudre proscrits comme liberticides, quelle disgrâce pour un petit-maître comme Fleury, pour cette patricienne de Contat ! Contempler les costumes de cette canaille : larges pantalons, vestes courtes et en haillons, l’affreux casque de fourrure de renard aussi usé que le dessus d’une vieille malle, le tout complété par un gros bâton noueux appelé constitution, des sabots ou des pieds nus et les femelles plus féroces encore, ces tricoteuses, ces furies de la guillotine, fi l’horreur ! Et ce public, il fallut le supporter pendant des mois, sans attendre grand réconfort des modérés. Lorsque ceux-ci faisaient mine de lever la tête, la Commune et la Convention s’empressaient d’y mettre bon ordre : on le vit