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dans ses papiers certain recueil manuscrit de son ami Arnault, contenant des romances, des chansons, entre autres des couplets sur la promotion de Robespierre à la dignité de juge au tribunal de Versailles :


Monsieur le député d’Arras,
Versailles vous offre un refuge ;
De peur d’être jugé là-bas,
Ici constituez-vous juge.
Juger vaut mieux qu’être pendu,
Je le crois bien, mon bon apôtre ;
Mais différé n’est pas perdu,
Et l’un n’empêchera pas l’autre.


Ces vers fleuraient un joli parfum de guillotine pour l’auteur et la receleuse ; Arnault était dans les transes, mais pendant la levée des scellés, Lange escamota le manuscrit et le rendit, en riant du bon tour joué aux émissaires du Comité de Salut public. Après mainte excursion sur la carte de Tendre, et des aventures aussi nombreuses que celles de la, fiancée du roi de Garbe, elle épousa Michel-Jean Simons, associé de son père, propriétaire d’une grande fabrique de voitures à Bruxelles ; et comme M. Simons père accourait pour empêcher ce mariage, il tomba lui-même dans les filets de Mlle Caudeille, et ne s’opposa plus aux vœux de son fils : Dejoly, ancien ministre de la justice sous Louis XVI, François de Neufchâteau, membre du Directoire, Talleyrand, ministre des affaires étrangères, signèrent l’acte de mariage de Lange. Ce qui semblait une mésalliance devint un bonheur, car la ruine et la faillite ayant bientôt frappé la maison Simons, ces deux femmes tinrent la conduite la plus digne. Mme Simons-Lange vendit une partie de ses bijoux pour venir en aide à son mari, Mme Simons-Candeille abandonna son douaire, ses reprises, donna des leçons de littérature et de musique ; elle témoignait aussi un très noble dévouement au père qui resta à sa charge pendant vingt-sept ans. Quant à Lange, son aventure avec le peintre Girodet assombrit un instant cette brillante existence où le malheur semblait n’avoir pas de prise. Elle avait commandé son portrait à l’artiste : celui-ci se met à l’ouvrage avec enthousiasme, orne le cadre de camées qui célèbrent les perfections de l’original, et l’envoie au Salon. L’œuvre était admirable, la ressemblance médiocre, on le lui fit entendre avec trop peu de ménagemens. Girodet, que la haine de la critique et l’amour de la gloire rendaient fort irritable, redemande son tableau sous prétexte de le retoucher, remplace par des camées satiriques les madrigaux peints, expose Lange en Danaé allégorique sur laquelle