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conseille aux comédiens de régler leurs règlemens et leur intime de jouer avec Talma, délibération de la municipalité qu’on affiche par toute la ville, second refus des comédiens qui se sentent soutenus en haut lieu, nouvelle lutte dans la salle, fermeture du théâtre, et, en fin de compte, soumission des rebelles. Talma rentra victorieux, le 28 septembre, avec son rôle de Charles IX, Raucourt, Contat, puis Sainval donnèrent leur démission, mais celle-ci fut retirée au bout de deux mois.


II

À la guerre ouverte, bruyante succède la paix armée ou plutôt une guerre sournoise qui se traduit par des hostilités à peine déguisées, des procédés désobligeans. Les comédiens supportent Talma, mais ils lui font la vie dure, si bien qu’il ne remplira aucun rôle important jusqu’à la clôture de 1791. Alors éclate la rupture définitive ; le tragédien signifie son intention de quitter le théâtre du faubourg Saint-Germain, on le menace d’un procès, et, pour commencer, on opère une saisie-arrêt sur ses costumes qui avaient une grande valeur. Dugazon réussit à les sauver d’une manière fort originale. Tandis qu’avocats et huissiers des deux parties sont aux prises, il monte au théâtre, ordonne à huit figurans de le suivre, les entraîne au magasin des costumes : à sa voix ils s’habillent en licteurs et se rendent à la loge de Talma, là on place cuirasses, casques, armes, manteaux et toges du tragédien dans quatre grandes corbeilles, et lui-même, affublé du costume d’Achille, visière basse, bouclier, lance au poing, descend et passe gravement, escorté de ses gardes. Déjà il est loin, et l’on n’a pas encore deviné le mot de l’énigme, la foule suit en riant cette mascarade, et Dugazon arrive enfin au théâtre du Palais-Royal où il dépose ses dépouilles opimes. Le lendemain cette burlesque épopée faisait les délices du Paris badaud, le duc d’Orléans voulut en entendre le récit de Dugazon lui-même, et les comédiens, en gens d’esprit, n’osèrent pousser l’affaire.

La Comédie s’était installée en 1689 à l’ancien Jeu de Paume de l’Étoile, rue des Fossés Saint-Germain, mais cette salle laissant beaucoup à désirer, on décida d’en construire une autre, et les architectes du roi désignèrent un terrain situé dans le triangle formé par les rues de Condé, de Vaugirard et des Fossés-Monsieur-le-Prince, tout proche le palais du Luxembourg[1] : en attendant,

  1. Monval et Porel, Histoire de L’Odéon. — Métra, Correspondance secrète. — Nép. Lemercier, Du second théâtre français, 1818. — Plus tard, en 1796, ce théâtre prendra le nom d’Odéon : lieu où l’on chante, où l’on déclame en chantant ; le nom ne convenait guère, car on y déclamera bien plus qu’on ne chantera, mais la mode était aux noms tirés de l’antiquité. Il y avait des Odéons à Athènes, Corinthe, Éphèse, Laodicée, Rome. (Les Voyageurs à Paris, par La Mésangère, t. III, p. 185, année 1797.)