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avoir pris cette devise : Des maris tant qu’on voudra, des amans jamais ! Elle se maria trois fois en effet, ce qui est le chiffre des femmes vraiment fortes, et d’aucuns affirment que la mobilité de ses sentimens dut la conduire à dépasser ce chiffre. On l’eût fort étonnée sans doute si, le soir où Marat l’interrompit de façon très incongrue, on lui eût prédit qu’elle ferait partie d’un cortège en l’honneur du tribun, avec les artistes des principaux théâtres de Paris. — Garat, ancien protégé de Marie-Antoinette et secrétaire du comte d’Artois, l’Orphée des salons et des concerts, professeur au Conservatoire, aussi célèbre par sa fatuité extravagante que par son talent, le type du muscadin et de l’incroyable sous le Directoire, dont la voix, une merveille d’étendue et de souplesse, abordait l’un après l’autre l’air : Sei Morelli, écrit pour basse, No quest anima, écrit pour ténor, un rondeau de Nasolini pour soprano, le duo d’Armide pour haute-contre, passant avec une prestigieuse aisance du pathétique au gai, du simple à la roulade ; — Garat, qui furieux d’être comparé à un rossignol, repartait brusquement : » Au diable ! apprenez, monsieur, que le rossignol chante faux ! » qui, arrêté pendant la Terreur parce qu’il n’avait pas de carte de sûreté, justifia de son identité par ses romances ; Garât qui, prétentieux jusqu’à la fin, constatait avec douleur que les Parisiens ne le remarquaient plus, lui qu’ils « auraient autrefois suivi jusqu’au bois de Boulogne ».

Les opinions de Julie, ses liaisons avec les girondins, l’âpre rancœur de l’antique déchéance religieuse, déchéance dont il avait supporté les effets pour son mariage, son éducation, sa lutte contre les aristocrates de la Comédie, tout poussait Talma vers la Révolution. Passion d’artiste, qui voyait se dérouler sous ses yeux une tragédie vivante, incomparable, y puisait des leçons, des moyens de produire l’émotion, puisqu’elle était un réservoir immense d’enthousiasme, de force et de victoire[1]. Son père, d’abord valet de chambre, puis homme de confiance chez un Anglais, avait fini par s’établir dentiste à Londres. Le jeune Talma, devenu presque Anglais par les manières et les idées, habitué à penser dans cette langue, fréquenta de bonne heure les théâtres de Londres, où son Ame naturellement exaltée se teinta fortement de sombre et de

  1. Legouvé. Soixante ans de souvenirs. — Souvenirs de Louise Fusil. — Mme Talma, Études sur l’art théâtral. — Correspondance de Grimm. — L. Laugier, Notice sur Talma. — Pierre Hédouin, Talma, Anecdotes et particularités. — Régnier, Souvenirs et études de théâtre. — Alfred Copin, Talma et la Révolution, Talma et l’Empire, 2 vol. — Regnault Warin, Mémoires sur Talma. — Geoffroy, Cours de littérature dramatique. — Lettres de Madame de Rémusat, 2 vol. — Audibert, Louis XI, de Retz et Talma. Indiscrétions et Confidences, — Mémoires de Samson, de Fleury. — Brifaut, t. 1er. — Charles Maurice, Histoire anecdotique. — Arnault, Souvenirs d’un sexagénaire. — Bonilly, Mes Récapitulations.