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minimum de salaire, et une proposition de loi en ce sens avait même été déposée par eux à la dernière assemblée. Une objection ne paraît pas les avoir touchés, c’est que ce minimum de salaire auquel le patron serait contraint est destiné à assurer trois choses : la nourriture, car l’ouvrier ne saurait vivre sans manger ; le logis, car il ne saurait coucher à la belle étoile ; le vêtement, car il ne saurait se promener tout nu. Il faut donc que le taux du salaire obligatoire soit calculé sur la moyenne de ces trois dépenses. Mais si l’un des facteurs qui ont servi au calcul de cette moyenne vient à s’élever dans telle ou telle localité ou dans le pays tout entier (et la chose pourrait bien arriver) ; si le pain, la viande, le logis ou le vêtement deviennent plus chers, voilà le salaire minimum qui devient insuffisant, et c’est comme si on n’avait rien fait. À cela il n’y a point de remède, dira-t-on. Pardon. Il y en a un, et, dans l’ordre d’idées où l’on entre, je ne vois pas pourquoi on reculerait devant ce remède. C’est à l’antiquité qu’il faut le demander. Un empereur romain, qui n’était l’ami d’aucune liberté, car il s’est signalé par ses persécutions contre les chrétiens, s’est avisé un jour de fixer le prix de toutes les denrées qui se vendaient dans son vaste empire. Cet empereur s’appelait Dioclétien et son Edit du maximum a donné lieu à un savant travail d’un membre de l’Institut mort récemment, M. Waddington. Pourquoi n’en reviendrait-on pas là ?

Une autre objection parait au contraire avoir frappé les socialistes catholiques. C’est que le minimum de salaire ne pourrait jamais être (le nom même l’indique) qu’un salaire minimum ; c’est-à-dire un salaire très faible, strictement suffisant pour les besoins d’un seul homme. Rien n’est variable, on le sait, comme le taux des salaires. Deux causes influent sur ce taux : la valeur occasionnelle du travail, c’est-à-dire l’abondance ou la rareté de la main-d’œuvre ; sa valeur intrinsèque, c’est-à-dire l’habileté de l’ouvrier. Si ennemi qu’on soit de la liberté du travail, il est impossible cependant de supprimer ces deux causes. Le salaire minimum ne peut être évidemment que le salaire le plus bas, et, à moins que de vouloir condamner à la ruine les industries où la main-d’œuvre n’a qu’une faible valeur intrinsèque et où les profits sont faibles, il serait impossible de leur imposer le salaire des industries qui nécessitent une main-d’œuvre habile, et où les profits sont élevés. Mais ce salaire minimum, serait-il suffisant pour faire vivre l’ouvrier sobre et honnête et sa famille, comme l’Encyclique en exprime le désir ? On pourrait craindre que non, et de cette crainte est née une nouvelle doctrine, qui est aujourd’hui fort à la mode dans certains milieux : celle du salaire familial.