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en usage chez les Arabes. D’autres fois on avait recours à un procédé plus compliqué, que Végèce nous a décrit : « Sur les tours des châteaux ou des villes, dit-il, on élève des poutres ou on les abaisse, et de cette façon on transmet au poste voisin ce qu’on veut faire savoir. » C’est le télégraphe aérien, seize siècles avant l’époque où nous croyons l’avoir inventé.

Les chefs ainsi avertis, les troupes se mettent aussitôt en marche. On leur avait fait, d’un bout de l’Afrique à l’autre, des routes superbes, avec des citernes et des hôtelleries, ou, comme on dit là-bas, des fondouks. Plusieurs de ces routes existent encore ; pendant des kilomètres, de distance en distance, le voyageur foule ce lit de ciment indestructible sur lequel reposaient de larges dalles bombées. En certains endroits, les routes romaines sont presque intactes. « On les retrouve, dit Tissot, telles que les ont parcourues les derniers courriers des gouverneurs byzantins de Carthage et les premiers éclaireurs de l’invasion arabe. » Sur ces grands chemins, merveilleusement entretenus par la prévoyance des empereurs, les ailes de cavalerie, les troupes légères, archers et lanciers, s’élançaient contre un ennemi qu’il était encore plus difficile de saisir que de vaincre. Ses attaques, on le sait, ne sont en général qu’une pointe hardie. S’il trouve les gens sur leurs gardes, s’il n’enlève pas du premier coup le poste qui les protège, il s’en retourne chez lui plus vite qu’il n’est venu. Mais d’ordinaire les Romains ne l’y laissent pas tranquille : il faut lui donner une leçon qui l’empêche pour quelque temps de recommencer. On se met à sa poursuite, on va le chercher dans ses montagnes, jusqu’au fond de ses steppes. Au besoin même on s’engage derrière lui dans le désert. C’était une grande audace, car on n’avait pas alors les ressources que nous possédons pour le parcourir. Les Romains ne paraissent s’être servis qu’assez tard du chameau en Afrique ; nous ne voyons pas qu’ils aient jamais songé à y former, comme en Syrie, des corps de cavaliers montés sur des dromadaires (dromedarii) : ils se contentaient de ces braves chevaux numides qui portaient non seulement l’homme et son bagage, mais des outres pleines d’eau sous leur ventre : avec eux, ils bravaient le vent de feu et les tempêtes de sable ; ils faisaient des marches forcées, et finissaient par rattraper les pillards et reprendre le butin qu’ils avaient emporté.

Les alertes de ce genre, dans un pays incomplètement soumis, devaient être assez fréquentes ; heureusement, ce n’étaient d’ordinaire que des alertes. De tout temps les tribus des indigènes ont été divisées par des rivalités intérieures ; il leur était encore plus difficile de s’entendre entre elles que de s’accorder avec les Romains ; la haine même de l’étranger n’était pas toujours capable