Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/494

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des pays où elles avaient été levées (ala Thracum, cohors Lusitanorum), ou celui de l’arme particulière à laquelle elles appartenaient (sagittarii, funditores). Dans les premiers temps, on leur avait laissé leurs chefs nationaux ; mais après la révolte des Bataves sous Vespasien, on mit généralement des officiers romains à leur tête, comme nous le faisons pour nos tirailleurs indigènes. C’étaient surtout les ailes qui étaient utiles aux Romains ; comme leurs légions se composaient presque exclusivement de fantassins, ils n’avaient de cavalerie véritable que celle que leur fournissaient les provinces. Les ailes et les cohortes formaient ce qu’on appelait l’armée auxiliaire (auxilia). On les employait quelquefois seules, mais le plus souvent elles servaient à côté des légions, et alors on avait soin en général que leur nombre ne fût pas plus considérable que celui des légionnaires.

Revenons maintenant à l’Afrique, et cherchons quelles étaient les troupes chargées de la défendre et comment on les y avait distribuées. Les inscriptions nous le font parfaitement savoir ; il n’y a pas de question sur laquelle nous ayons plus de lumière. L’Afrique proconsulaire, étant une province sénatoriale, n’avait d’autres soldats que la garnison de Carthage[1]. La Numidie possédait une légion, la troisième Augusta, qui campait à Lambèse, et les troupes auxiliaires qu’on adjoignait ordinairement à la légion, ce qui devait faire à peu près 12 000 hommes. Les deux Maurétanies, qui obéissaient à des procurateurs de rang équestre, ne pouvaient pas avoir de légionnaires dans leurs garnisons, puisque les légions étaient toujours commandées par des légats de rang sénatorial : elles étaient donc gardées par l’armée auxiliaire toute seule. En faisant le compte, aussi exact que possible, des ailes et des cohortes qui paraissent y avoir séjourné en même temps, M. Mommsen arrive à un total de 15 000 hommes. C’est donc une armée de 27 000 hommes à peu près que les Romains entretenaient en Afrique, et ce chiffre paraîtra bien peu élevé, si l’on songe que nous ne possédons ni la Tripolitaine, ni le Maroc, et qu’il nous faut 48 000 hommes, en temps de paix, pour garder l’Algérie et la Tunisie.

Comment faisaient donc les Romains pour suffire à une tâche plus lourde que la nôtre avec des forces moins considérables ? Il vaut la peine de le savoir.

D’abord ils savaient fort bien les employer ; ils les avaient très habilement réparties sur ce vaste territoire : c’est un mérite que

  1. M. Mommsen pense que cette garnison, outre un certain nombre de soldats détachés de la légion de Numidie, comprenait une de ces cohortes urbaines qu’on avait formées pour garder Rome, et dont on se servit plus tard pour maintenir l’ordre dans quelques grandes villes provinciales, comme Carthage et Lyon.