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découvert une inscription parfaitement conservée, qui nous apprend que, sous Antonin le Pieux, la sixième légion romaine avait fait la route à laquelle nous travaillons seize cent cinquante ans après. Nous sommes restés sots[1]. »

C’est ainsi que la domination romaine, après s’être quelque temps cantonnée dans le territoire de Carthage, avait débordé de tous les côtés le petit fossé de Scipion. A l’époque la plus florissante de l’empire, sous les Antonins et les Sévères, elle s’étendait en longueur à toute l’Afrique du Nord, depuis les sables de Cyrène jusqu’à l’Atlantique : en largeur elle s’était avancée dans le désert aussi loin qu’on y pouvait aller. Elle occupait donc la Tripolitaine, la Tunisie, l’Algérie et une partie du Maroc.


II

Un territoire si vaste, habité par des races guerrières, mal soumises, souvent peu civilisées, n’était pas d’une administration facile. Aussi les Romains n’ont-ils pas trouvé du premier coup le meilleur moyen de le gouverner. Comme nous, ils tâtonnèrent, ils hésitèrent longtemps entre divers systèmes. Ce n’est qu’à partir du règne de Claude que le problème fut résolu, et le gouvernement de l’Afrique définitivement organisé.

Scipion, on vient de le voir, fit une province romaine de ce qu’il avait pris aux Carthaginois. On l’appela plus tard l’Afrique vieille (Africa vetus) ; elle comprenait à peu près la Tunisie d’aujourd’hui. César, après la victoire de Thapsus, y ajouta la Numidie, qui devint une sorte d’Afrique nouvelle (Africa nova), à côté de l’ancienne. Comme le pays était encore agité, on y laissa des troupes, qui naturellement résidèrent dans la partie la moins tranquille, c’est-à-dire en Numidie. On sait que quelques années plus tard Auguste, en réorganisant l’empire, imagina de partager avec le Sénat l’administration des territoires que Rome avait conquis. Il lui abandonna les provinces entièrement pacifiées et se réserva celles où la turbulence des habitans et le voisinage des frontières rendaient indispensable la présence des légions. De cette façon, il gardait toute l’armée dans sa main, ce qui était pour lui d’une grande importance. Cependant l’Afrique, où une légion séjournait, n’en fut pas moins placée parmi les provinces sénatoriales. Il est difficile de comprendre quel fut le motif de cette exception qui était si contraire à la politique de l’empereur ; elle n’en dura pas moins pendant plus d’un demi-siècle, et c’est seulement Caligula qui la fit cesser. Il ordonna que la légion d’Afrique ne

  1. Je prends cette intéressante citation dans le mémoire de M. Masqueray sur le mont Aurès.