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Il fallut au Saint-Père de prodigieux efforts d’énergie pour se faire obéir, fût-ce par les princes de l’Église. Au Vatican même, à peine avait-elle descendu un étage, à peine avait-elle passé le seuil de sa chambre, que déjà la politique du pape commençait à se modifier, à s’altérer dans l’esprit et sur les lèvres de ceux qu’il en avait fait dépositaires. La politique des cardinaux cessait déjà d’être la politique de Léon XIII. Il devait redire sans relâche et réenseigner à nouveau sa leçon. Le succès cependant a fini par couronner cette campagne. Il s’est fondé dans la république un parti de pacification religieuse, qui comprend beaucoup de gens de gauche et un certain nombre de gens de droite. Ce parti, occupe le pouvoir, et il y a tout lieu d’espérer que de longtemps il n’en descendra pas. Tout le monde ne partage pas l’avis de M. Clemenceau, qui estime formidablement dangereux de mettre sa main dans celle du pape ; mais l’on comprend que M. Clemenceau ait cette opinion, parce que l’action du souverain pontife a certainement contribué à faciliter, en lui amenant des recrues, le triomphe de la république modérée et par conséquent l’échec du parti radical.

Ces considérations suffisent à faire comprendre avec quelle méfiance doivent être accueillies les déclamations de ceux qui, regrettant leur influence perdue, cherchent toutes les occasions de ranimer les conflits anciens. Il est puéril par exemple de présenter, ainsi qu’on l’a fait dans une interpellation récente, le décret du 27 mars 1893 sur la comptabilité des fabriques comme un acte de persécution et d’anti-cléricalisme, alors qu’il ne s’agit que d’un règlement d’administration publique plus ou moins nécessaire, mais qui, selon la saine appréciation de l’évêque d’Amiens, « n’est nullement en rapport avec l’émotion qu’il a d’abord causé. » Le point principal qu’il convient d’en dégager est celui-ci : les formalités prescrites ont pour effet d’accroître l’autorité des évêques sur les conseils de fabrique. Aucune dépense ne pourra désormais être faite par ces établissemens sans l’autorisation du premier pasteur du diocèse. Le système nouveau n’innove rien en théorie ; mais, en pratique, l’approbation du budget des fabriques par l’évêque aura désormais une sanction, la même ou à peu près que l’approbation du budget des communes par le préfet.

Jusqu’à présent elle n’en avait guère, parce que la comptabilité des fabriques se faisait un peu en famille ; tandis qu’à l’avenir l’État, prêtant son bras séculier à l’évêque, exigera que les volontés de ce dernier soient strictement exécutées. Que ce renforcement des prérogatives de l’ordinaire fût ou non souhaitable, que les prélats eux-mêmes n’eussent pas préféré s’en passer pour éviter l’ingérence de l’État qui en est la conséquence, qu’à son tour cette ingérence de l’État soit ou non conforme à l’esprit du concordat ou des articles organiques, ce sont matières à gloser, voire à gloser plus amplement et canoniquement que nous ne pourrions le faire ici.