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l’étoile. — Plus triste est le sort de l’infortunée Valentine. Sans père ni mère depuis son âge le plus tendre, elle est condamnée à ignorer le secret de sa naissance. Elle a été recueillie chez les Laversée. Par un surcroit de disgrâce, la nature l’a affligée d’une fatale beauté. Elle devient sans l’avoir voulu la rivale de sa protectrice. Elle lui prend, sans le faire exprès, tous ses adorateurs et jusqu’à son amant en titre. Si bien qu’après avoir été abreuvée d’humiliations, avoir dévoré plus de larmes et bu plus de honte que la légendaire Cendrillon, il lui reste pour suprême ressource d’aller tenir les livres de comptes dans une ferme du Canigou ! — Tout cela n’est rien en comparaison des calamités qui ont fondu sur le bonhomme Grigneux. Il était jeune, il avait des idées, il allait avoir du talent. Mais il adorait sa femme ; l’infidèle un beau jour a pris la fuite. De ce jour, son existence a été brisée. Pour oublier il s’est mis à boire, pour endormir son chagrin, il a usé des stupéfians. Il en est réduit maintenant à faire des copies et des phrases ; un raté doublé d’un raseur, comme diraient les rapins à qui il inflige ses théories sur le grand art. — C’est ainsi qu’on passe, dans Cabotins, du plaisant au lugubre. Cela fait un assemblage des notes les plus discordantes. Mais d’un vaudeville avec un mélodrame on n’a jamais fait une comédie.

Ou plutôt c’est ce qu’on a maintes fois essayé de faire, et M. Pailleron lui-même en plusieurs de ses comédies. Seulement, son art étant alors plus délicat et sa touche plus légère, les nuances étaient mieux fondues et on n’apercevait pas si nettement la différence essentielle des élémens juxtaposés. Le mélange des genres a été l’une des pratiques les plus habituelles et les plus habituellement fâcheuses des dramatistes de ce siècle. C’est, je pense, Beaumarchais qui, le premier, introduisit dans une pièce gaie et même folle un élément de drame. Dans la Folle Journée Figaro retrouve une mère, et il éprouve en sa présence la même émotion qui bouleversera par la suite toute la lignée des enfans abandonnés, au moment qu’ils retrouveront sur les planches des théâtres du boulevard les auteurs de leurs jours. Figaro se jette dans les bras de Marceline, et il laisse un libre cours à ses larmes ; et dans la salle les spectateurs qui avaient, comme on sait, l’âme sensible, pleuraient des larmes non moins douces. L’alliance du comique et du tragique fut un des articles principaux dans le programme des romantiques. Ce fut alors l’usage, comme il est dit dans les Lettres de Dupuis et Cotonet, de rire d’un œil et de pleurer de l’autre. La mode en passa du drame dans la comédie de mœurs. On n’en trouverait que trop d’exemples dans les pièces d’Augier et de M. Dumas. M. Sardou s’est fait de ce système hybride une spécialité. Dans tout son théâtre, depuis Nos Intimes et jusqu’à Madame Sans-Gêne, le procédé est invariable. Les premières scènes sont consacrées à nous présenter dans un décor aux couleurs vives et