Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/465

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le cabotinage. Brascommié, qui est avocat général, demande la tête d’un assassin : voulait-on qu’il le fil acquitter ? M. de Laversée, de quelque côté qu’on le prenne, n’est sous toutes ses faces qu’un imbécile. Mme de Laversée est coquette et jalouse ; ce n’est pas être cabotine cela, c’est être femme. — En vérité, tous ces cabotins sont de pauvres gens, parfaitement inoffensifs et mal payés de leur peine. Et la société d’aujourd’hui ne serait pas trop à plaindre si on y voyait tous les cabotins faire aussi piètre figure.

On le voit, le trait pourrait porter plus juste et enfoncer plus avant. Mais en outre on est surpris de constater combien peu de place l’étude du cabotinage occupe dans une pièce qui s’intitule Cabotins ! A partir du second acte on nous lance sur une autre piste, et ce qui commence alors c’est une histoire romanesque et compliquée, sentimentale et noire. Quel rapport y a-t-il entre les aventures de Pégomas et celles d’un sculpteur, d’une orpheline et du père de l’orpheline ? Entre les unes et les autres on n’a essayé de mettre pas même l’apparence d’un lien. De plus, à voir le ton dont elles nous sont contées il semble qu’on se soit appliqué à en faire ressortir l’opposition et éclater le violent disparate. Dans les scènes où défilent, causent et s’agitent les cabotins, la pièce de M. Pailleron est gaie de la gaieté la plus franche et même la plus grosse. Les bonshommes de la « boîte à l’ail » et ceux pareillement de la « Tomate » sont de purs grotesques. Les procédés qu’on emploie pour nous les présenter sont ceux de la caricature. Tels épisodes comme la « complainte du pauvre esculpteur » sont de simples « scies d’atelier ». Les plaisanteries sont à l’avenant. Un des caractères de l’esprit de M. Pailleron, dans ses œuvres les meilleures, a toujours été la facilité de cet esprit. Cela en a fait le succès. Le public est satisfait quand le mot que prononcent les acteurs est justement celui qu’il attendait et qu’il prévoyait. Cette fois M. Pailleron n’a pas dédaigné la facétie elle-même. Nous sommes sur les confins de la farce, non pas en deçà. — Mais à côté de ces parties où la drôlerie est poussée jusqu’à l’extrême, en voici qui vont jusqu’à l’extrême dans le sentiment et dans la désolation. Au Palais de l’Industrie, le sculpteur Pierre Cardevent a aperçu une jeune fille d’une beauté merveilleuse. Qui est-elle et d’où vient-elle ? Il n’en sait rien. Suivant toutes les probabilités, il ne la reverra pas. Pourtant il est resté sous le charme. Il est hanté par cette poétique apparition. Son ciseau maintenant ne sait plus sculpter d’autres qu’elle. Il fait son portrait de souvenir. Or la médaille d’honneur lui ayant été décernée, qui est-ce qui vient lui annoncer cette bonne nouvelle ? C’est elle-même, son inconnue ! Comme cela se trouve ! Quel bonheur ! Or plutôt quel malheur ! « Ah ! quel malheur !… » ainsi qu’il est dit dans la complainte. Car la jeune fille est une personne du beau monde. Et Pierre est fils d’artisans. C’est lever de terre amoureux de