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peuple établie comme le dogme nouveau avec la République, la fréquence des élections qui ont remis les charges les plus importantes au suffrage, les adulations des candidats qui sollicitent les votes, ont achevé l’œuvre destructrice. Tout Français est habitué à se considérer comme supérieur à l’autorité puisqu’il la crée, comme juge de ceux à qui il la remet, et la manière dont la plupart de ceux-ci la briguent et l’exercent a rendu général dans la nation le mépris du pouvoir. Comment, dans cette ruine, l’autorité militaire serait-elle intacte ? Comment chacun de ces souverains jaloux de ses prérogatives, enflé par la flatterie, habitué à considérer comme rebelle l’autorité si elle n’est pas rampante, se soumettrait-il sans effort à ce commandement militaire qu’il n’a pas créé, sur lequel il n’a pas de prise, et qui impose l’obéissance constante sans permettre la discussion ? Ce régime fait violence aux principes, aux habitudes, aux prérogatives du soldat qui sent frémir en lui un citoyen méconnu. Nul plus que ce citoyen n’est préparé à juger les exigences du service usurpatrices. L’unique péril des écrits qui nous occupent serait là : l’affaiblissement de l’autorité dans la nation est une menace permanente pour la discipline de l’armée.

Par bonheur, si la logique est une force redoutable en France, l’instinct de la conservation est plus puissant encore. L’expérience de la guerre dernière a montré ce que valaient les principes de la liberté politique appliqués à la constitution des armées. Le choix des officiers par les troupes, la stratégie inspirée des foules, l’aptitude du soldat infuse dans le patriotisme du citoyen, articles de foi pour le parti républicain jusqu’à la chute du second Empire, n’ont plus trouvé de défenseurs au lendemain de nos désastres. Depuis, le souvenir toujours vivant, le danger toujours proche ont parlé plus haut que les sophismes ; les moins suspects ont consenti eux-mêmes les plus lourds sacrifices, tendu patriotiquement au joug leur tête farouche, reconnu que la société civile et la société militaire avaient des lois distinctes et également nécessaires. Les rancunes et les vanités de ceux qui voudraient soulever contre la discipline de l’armée l’orgueil démocratique n’obscurciront pas cette intelligence générale du salut public.

On a droit d’espérer mieux encore. Donoso Cortès a dit une parole mélancolique : « C’est la destinée de notre temps de marcher à la barbarie par les idées et de revenir à la civilisation par les armes. » Il voyait, quand l’abus de la raison a créé dans une société l’anarchie intellectuelle, le salut apparaître avec le chef de soldats qui rétablit l’ordre par la force et le consolide par le