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avouables qu’ils sont obligés de chercher dehors, n’iraient-ils pas les prendre où elles seraient plus proches, moins coûteuses ? Et si cet attrait ne retenait pas ceux qui de propos délibéré vont à la débauche, ne préserverait-il pas ceux qui s’y laissent glisser sur la pente des occasions ? L’expérience valait d’être tentée. Quelques chefs de corps, secondés ou sollicités par le zèle de quelques officiers, ont dans leurs casernes ou leurs quartiers su rendre libres quelques locaux, les ont aménagés, éclairés, chauffés, meublés de livres, de jeux, parfois d’un billard, les ont ouverts à leurs soldats. Ils ont fait plus, ils s’y sont rendus eux-mêmes, dans la familiarité d’une réunion volontaire où les chefs venaient aux petits, seulement hôtes dans le chez-soi donné par eux à leurs soldats, y apportant, au lieu de punitions et d’ordres, la sollicitude pour le repos et pour la joie de tous. Les résultats ont été extraordinaires. Les sorties sont devenues plus rares. Les hommes restent satisfaits de se reposer et de se distraire sans se déplacer, sans endosser l’équipement qui les gêne, avec économie sur des dépenses qui les gênent encore plus ; surtout, ils sont fiers de l’intérêt qu’ils inspirent, et les officiers sont payés de leurs peines par la récompense que le soldat accorde à ses chefs, « ce regard de confiance et de remerciement auprès duquel, disait le maréchal Bosquet, tout le reste n’est rien. »

Il est temps qu’on fasse partout pour la moralité du soldat comme on a fait pour sa nourriture, et que l’initiative ingénieuse des chefs réforme une trop ancienne erreur. Il ne faut plus que le soldat soit chassé de sa maison par l’ennui, par le froid, par le vide, et jeté sur le pavé glissant des villes aux heures dangereuses. Sans doute il ne sera pas facile de rendre la maison hospitalière. Nos constructions militaires porteront témoignage contre nous dans l’avenir. Nos descendans ne voudront pas comprendre que dans ces immenses demeures où tout est prévu pour le travail, l’alimentation, le sommeil, la maladie des hommes, rien n’ait été réservé pour leur délassement et leur vie sociale. Mais en attendant les constructions de l’avenir, où cet oubli sera réparé, même dans les bâtimens actuels on réussira à aménager un abri pour les loisirs du soldat, à marquer au moins la place d’une grande institution. Les élémens de succès existent, il ne s’agit que de les grouper. De même qu’aujourd’hui on emploie à la puissance militaire des ressources créées par la société civile, il n’y a qu’à employer au plaisir des soldats des ressources toutes faites. Quelles distractions vont-ils demander, même aux concerts et aux spectacles, qu’ils ne puissent se donner eux-mêmes ? Dans leurs rangs on compte des musiciens, des chanteurs, des débitans de