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inconnue hier et oubliée demain, s’est substitué le souci d’être estimé par ceux avec qui l’on allait vivre, et cette nouveauté, survenant alors que le deuil de la défaite jetait son voile sur les brillans défauts de jadis, a transformé les allures des officiers. Ceux qui ne sont pas devenus de petits saints, n’ont plus l’indiscrétion vaniteuse de leurs fredaines ; pour la plupart ces faiblesses sont rares, et même à l’âge des folies beaucoup mènent une vie de jeunes sages. Sevrée des plaisirs factices, elle s’est ouverte aux attraits naturels, sa fixité leur rendait un foyer désirable et les livrait aux tentations légitimes du mariage. Et comme le prestige de leur profession croissait à mesure que la plupart des carrières se trouvaient plus menacées ou avilies par la politique, ils ont vu leur alliance recherchée par les meilleures familles et, dans la faveur des mères et les rêves des jeunes filles, ont remplacé même les ingénieurs. Aussi le mariage est entré dans les mœurs de l’armée. L’exemple a gagné les sous-officiers. Le régiment est une ruche qui essaime, autour de qui des familles se multiplient, et tous ceux qui les fondent cessent d’être des êtres d’exception : mêlés aux affections, aux sollicitudes les plus fortes et les plus durables de la vie, ils sont rentrés dans le droit commun.

Le métier lui-même n’a pas moins changé que les mœurs. Une science aussi novatrice qu’elle a été immobile modifie depuis quelques années les instrumens de combat et par suite l’art de les employer. Les officiers sont des hommes qui, à l’inverse des émigrés, ont chaque jour à oublier et à apprendre. Et en même temps qu’il leur faut s’instruire, il leur faut instruire les autres, être les éducateurs permanens de soldats qui, à peine dégrossis, quittent l’armée pour faire place à une génération nouvelle de conscrits. De là un travail continu, à certaines heures extrême, un entraînement intellectuel qui maintient les esprits vigoureux et souples, a transformé les états-majors, assure un honorable recrutement à notre Ecole de guerre, et dans les régimens a changé jusqu’aux entretiens ordinaires des officiers. Personne n’a moins de loisirs, et c’est une mauvaise plaisanterie que de parler de leur oisiveté.

Les délais si courts dans lesquels doit être condensée l’instruction des troupes ont obligé d’éliminer ce qui était le moins nécessaire. Les évolutions de la place d’exercice, qui semblaient autrefois presque tout le métier, prennent d’année en année moins d’importance. Chacun des nombreux règlemens qui se succèdent et se corrigent depuis vingt ans a réduit de quelque chose les beautés superflues des anciennes formations. Pas assez encore : les vieilles habitudes survivent trop dans ces réformes. Trop de temps