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la minorité, des forces précieuses, et n’appauvrirait pas l’univers. Il faudra enfin soumettre à l’examen cette fraternité entre les travailleurs qu’on annonce comme la plus féconde réforme de l’avenir. Les lois votées en Amérique contre les émigrans chinois, les mesures d’expulsion réclamées par les ouvriers français contre les ouvriers étrangers présagent-elles cette entente ? Les artisans des contrées où la matière et la main-d’œuvre sont chères accepteront-ils la concurrence des contrées où la matière et la main-d’œuvre sont à vil prix ? Suffira-t-il à leur bonheur de penser qu’ils seront réduits à la faim par leurs frères et non par des capitalistes ? Persuaderont-ils à ces frères de travailler partout aux mêmes prix qu’eux, malgré la différence des climats et des besoins ? Sinon, ne leur faudra-t-il pas, sur le sol où ils vivent, se réserver la clientèle qu’ils n’appelleront plus nationale ? Le conflit ne se compliquera-t-il pas des contradictions entre les intérêts de ceux qui produisent et de ceux qui consomment ? Ces intérêts contraires n’auront-ils pas besoin, pour se soutenir, d’une force ? N’est-il pas probable qu’on se disputera les marchés comme autrefois les territoires, au besoin par les mêmes moyens ? que sous l’état ouvrier, comme sous l’état bourgeois, les familles humaines resteront distinctes, rivales, et armées ?

Mais, à l’heure présente, cette démonstration aussi serait superflue. Le parti socialiste résiste encore partout à la logique de ses doctrines. Il ajourne les attaques contre l’armée. Si violemment qu’il condamne l’ordre social, il ménage la patrie, comme si sa raison n’avait encore pu persuader son cœur. On dirait Coriolan qui marche à la vengeance contre ses concitoyens, et qui s’arrête à l’aspect de sa mère. Ces jours derniers, au parlement d’Allemagne, Bebel et Liebknecht déclaraient que leurs partisans accompliraient, en cas de guerre, tout leur devoir de soldats. Et à cette affirmation répondait à la tribune française une affirmation semblable : M. Jaurès et ses amis ont attesté que les champions les plus hardis de la cause sociale seraient, sous les plis du drapeau tricolore, les plus fidèles défenseurs de la France attaquée. Que ces paroles si nettes soient, dans l’un ou l’autre pays, sorties de lèvres sincères ou de lèvres politiques, que les chefs aient satisfait à leur conscience ou compris combien toute tiédeur envers la patrie nuirait à leur cause dans l’opinion publique, le résultat est le même : auprès de ceux qui seront les plus redoutables ennemis de demain, l’armée trouve aujourd’hui du respect.


Les petits adversaires qui mènent le plus de tapage contre elle n’ont emprunté ni à la race slave son idéal mystique, ni à la