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changera pas la loi de la société humaine. L’équilibre naturel de l’esprit français nous préserve contre les magnificences désordonnées de l’imagination. Et si l’armée n’a à redouter que les mystiques, elle continuera jusqu’à la fin du monde à défendre la société et eux-mêmes contre les conséquences de leurs doctrines.


Les socialistes, au contraire, sont les amis les plus déterminés de la force. C’est sur leur nombre que la plupart fondent leur droit, tous leur espoir ; c’est sur l’autorité publique qu’ils comptent pour imposer leur volonté. Mais les socialistes sont les négateurs de la patrie. Elle leur paraît, dans chaque contrée, créer une unité factice entre des classes dont les intérêts sont divers, opposés, dont les unes, spoliées séculairement par les autres, ont avant tout à se libérer et à revendiquer. Le lien véritable entre les hommes n’est pas la proximité des demeures et la parenté, si éloignée, de la race, mais la ressemblance des conditions, des travaux, des sentimens. C’est pourquoi toutes les grandes puissances du monde, l’argent, le commerce, la science, la religion sont internationales. Un prolétaire et un capitaliste nés et électeurs à Paris sont beaucoup plus étrangers l’un à l’autre que le premier aux ouvriers, le second aux rentiers de Berlin et de Londres. L’avenir est à un ordre social où les intérêts similaires sauront dans le monde entier se concerter et se défendre ; où, par suite, les travailleurs à leur tour formeront un seul parti. Les armées nationales, en soutenant l’institution caduque de la patrie, entretiennent la guerre civile dans l’univers ; lient dans chaque pays la multitude aux desseins des classes privilégiées qui partout gouvernent encore ; tiennent isolés et rendent ennemis les prolétaires dont l’union ferait la force ; empêchent le triomphe du quatrième État.

Comme les socialistes ne s’adressent pas aux instincts élevés, mais aux passions violentes, comme ils ne parlent pas de renoncer, mais de jouir, leur propagande a une tout autre efficacité que celle des mystiques, et leur parti, déjà redoutable, s’accroît chaque jour. C’est lui qui dans l’avenir menacera le plus dangereusement l’armée. Alors il faudra prouver qu’en protégeant la patrie l’armée ne garde pas seulement les ruines du passé, que chaque nation est le défenseur historique de certaines idées, de certaines vertus, toutes nécessaires à la civilisation commune, et travaille par un effort particulier au bien général. Il faudra rechercher si l’unité d’une politique faite au nom du genre humain, et inspirée par les races les plus nombreuses, n’étoufferait pas, avec la volonté indépendante et le génie varié des races qui s’appelleraient désormais