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sairement fermé au physiologiste qui, systématiquement confiné dans le laboratoire, dédaignerait les enseignemens de la salle d’hôpital, je crois non moins fermement que l’intervention largement acceptée des sciences anatomiques et physiologiques dans les affaires de la médecine est pour elle une condition essentielle de progrès. Je pense que la pratique médicale n’a pas d’autonomie réelle ; qu’elle vit d’emprunts, d’applications ; que, sans une rénovation scientifique incessante, elle deviendrait bientôt une routine attardée. Je pense enfin que, à part ces questions de coup d’œil, d’ingéniosité et autres qualités artistiques natives qui se perfectionnent par l’usage, mais ne s’acquièrent pas de toutes pièces, tant vaut le pathologiste, tant vaut le clinicien. »

Il n’inaugura son enseignement libre qu’en 1866. Pour réaliser cet enseignement, il lui fallut lutter longtemps ; l’administration de l’Assistance publique résistait aux innovations. Il lui fallut près de vingt ans pour obtenir une consultation externe. Pendant le même temps il n’eut à sa disposition qu’un laboratoire exigu et insalubre, prenant jour d’un côté sur une salle de cancéreuses, et aux frais duquel il a dû le plus souvent subvenir. C’est dans ce laboratoire des Incurables qu’ont été exécutés la plupart des travaux anatomo-pathologiques de l’école ; et il ne le quitta pas sans mélancolie pour une installation meilleure : le souvenir de ses meilleurs élèves y était resté attaché. Toutes les institutions nécessaires à son enseignement, c’est au prix de la même patience qu’il les a obtenues. Mais Charcot n’était pas homme à se laisser rebuter ; il poursuivait ses acquisitions avec méthode et ténacité. Aux heures mélancoliques, on le trouvait quelquefois en train de dessiner un ours accroupi, une patte de devant appuyée sur un sablier ; au-dessus on lisait : Tempus et hora. C’étaient des armes parlantes qui voulaient dire, sans doute, qu’il faut savoir prendre le temps et saisir l’heure et le moment. Charcot n’y a jamais manqué.

Une union heureuse l’avait dispensé des inquiétudes de la lutte pour la vie, et lui a apporté en outre un appui moral qui a joué un grand rôle dans l’évolution de sa fortune scientifique. Ceux qui ont assisté à l’éclosion de ses travaux ont été témoins de ses hésitations, et savent qu’un bon nombre seraient restés dans l’oubli sans une intervention persistante et dévouée.

Charcot était déjà connu par des travaux importans, lorsqu’en 1866 il inaugura ses leçons cliniques. La Salpêtrière avait retenti des noms de Pinel, d’Esquirol, de Baillarger ; mais elle était peu fréquentée des élèves ; on y parvenait difficilement, il n’y existait pas même d’amphithéâtre ; on n’y pouvait faire de leçons que dans les salles de malades. Il fallait attirer et conserver