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question ne se posât point d’elle-même et qu’on l’ait malencontreusement posée. Mais, aujourd’hui, elle est posée ; on ne l’enterrerait pas avec le cabinet qui serait tué sous elle : il n’y a qu’un moyen de s’en défaire, c’est de la résoudre au plus tôt. Ecartez-la par un subterfuge de couloirs, elle reviendra plus pressante et plus menaçante. Il se peut que le peuple n’eut pas fait une révolution pour acquérir le bulletin de vote ; il est vraisemblable que, maintenant encore, il ne ferait pas une révolution pour l’avoir, mais on ne gagnerait pas beaucoup de temps à le lui refuser et le temps qu’on lui refuserait serait-il réellement gagné ? Quelqu’un aurait-il d’aventure la prétention de reparquer le quatrième État derrière une muraille infranchissable, ou de faire le vide autour de lui, de renfermer vivant dans une machine pneumatique ? L’illusion serait brève, hélas ! Il est vivant, adulte ; il a des yeux, des oreilles et des bras : il lui faut le grand air et l’espace libre.

Mais est-il donc si effrayant, que l’on doive, autant que de mourir, craindre de le démailloter ? Ne pense-t-il qu’à se ruer aux abîmes, on veut dire ne pense-t-il qu’à y précipiter les autres ? Les socialistes sont-ils tout le peuple, et tout le peuple est-il socialiste ? Dans le contingent qu’il s’agit d’appeler à la vie publique, la conservation sociale, intelligemment entendue, n’a-t-elle pas de recrues à faire ? Pour la Hollande du moins, ni M. Kuyper, ni M. Schaepman, ni d’autres, moins suspects peut-être de partialité, n’y veulent croire.

Ils ne veulent pas croire que tout soit à perdre ; s’ils le croyaient, ils sont des hommes politiques, ils ne le risqueraient pas. Mais, justement parce qu’ils sont des hommes politiques, ils aiment mieux entrouvrir, ouvrir même les portes de l’avenir que de les laisser enfoncer. Ils ne pensent pas que toute la politique soit de se traîner de ce soir à demain, et de demain à après-demain ; à leurs yeux, les échéances y sont plus longues.

« Qu’on y prenne garde ! nous disait M. Fransen van de Putte, un sage retiré sous sa tente, mais qui n’en ferme pas les toiles pour ne rien voir ; le courant de l’opinion publique vers un suffrage ; très étendu est plus rapide et plus fort qu’on ne l’imagine. Ce n’est pas maintenant que l’on doit et que l’on peut songer à se mettre en travers. On le pouvait peut-être en 1887. À ce moment, peut-être pouvait-on faire ou ne pas faire la révision de la loi fondamentale, ne pas rayer la condition du cens inscrite dans la constitution ou lui substituer quelque condition du même genre. Il serait trop tard aujourd’hui, la révision est faite, il faut marcher. Mieux vaudrait aller délibérément et courageusement jusqu’au bout. » M. Fransen van de Putte ajoutait : « Quant à