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parvenait à contre-balancer l’influence de M. Nieuwenhuis, mais partout où il en restait, sa peine ne lui servait de rien. Il a regardé la carte, et il a vu la Hollande divisée en trois zones politico-religieuses, le midi catholique, le centre protestant, le nord plutôt libéral, mais fournissant aux doctrines et aux idées un excellent champ de bataille. Alors il a compris qu’aux Pays-Bas la théologie était toujours et serait longtemps encore le levain de la politique ; que la Hollande se traite et se gouverne par la théologie ; que le tout est de savoir, pour chaque cas, quelle est la dose convenable. Le docteur Kuyper a emprunté, mais en renversant les proportions, la formule de M. Domela Nieuwenhuis et, comme il y a un peu de théologie dans le socialisme de celui-ci, il y a un peu de socialisme dans la théologie de celui-là.

Le calvinisme voudrait enlever au socialisme sa clientèle, en lui enlevant ce par quoi il séduit ou entraîne. Mais ce par quoi il séduit et entraîne les uns, c’est ce par quoi il épouvante et irrite les autres. Le docteur Kuyper a fait entrer, dans son calvinisme orthodoxe, bien des affirmations et des revendications modernes, et ces revendications ne vieillissent pas, ne s’atténuent pas pour être déduites de principes « autres que les principes révolutionnaires. » Peu importe que ce ne soit « ni dans la volonté populaire, ni dans la loi, mais en Dieu seul, que le parti anti-révolutionnaire place l’origine de l’autorité souveraine, »[1] s’il en remet au peuple l’exercice effectif, par le suffrage universel : quoique les principes puissent être opposés, les conséquences sont les mêmes. Et nous revenons, après un long détour, à la réforme électorale et à la position que, vis-à-vis de cette réforme, occupent les divers groupes des divers partis.

Le parti révolutionnaire n’échappe pas au sort commun ; il est, sur cette question, aussi divisé que les autres. Le docteur Kuyper est, et devait être, le chef de la fraction démocratique, mais il agit surtout en dehors des Chambres, par la parole et par son journal, le Standaard. L’autre fraction vient de retrouver un chef dans la personne de M. de Savornin-Lohman, battu aux élections de 1891 et tout récemment réélu. Le baron Mackay se réserve.

Au résumé, le ministère a pour lui, la loi électorale a pour elle : à gauche, les radicaux ou antiploutocrates, avec M. Kerdijk, à droite, parmi les catholiques, les démocrates avec M. Schaepman, parmi les calvinistes, les démocrates avec le docteur Kuyper, qui est chef de parti sans être député. Il a contre lui, ou elle a contre elle : à gauche les amis de M. van Houten, à droite les

  1. Déclaration faite au congrès social d’Amsterdam, en 1891.