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Houten et autres. Mais il n’y a pas de plus sûr moyen de créer une ploutocratie que de supprimer tout cens électoral et jusqu’à la trace du cens. Oui est-ce qui fait le corrupteur ? C’est le corrompu ou le corruptible. Et qui fait le ploulocrate ? C’est le misérable trop misérable. A présent, vous allez donner le droit de vote, sans autre précaution que de dire : Il faudra n’avoir pas reçu, pendant la dernière année écoulée, de secours d’une commune ou d’une société de bienfaisance.

Le secours d’aucune administration, c’est à merveille, mais les subsides, les petits cadeaux, les pourboires des particuliers ! Un ouvrier, qui vit de son travail et qui en fait vivre les siens, peut être aussi incorruptible qu’un millionnaire authentique. Mais il vous doit la preuve qu’il en vit, et cette preuve ne saurait être que le paiement d’un cens réduit, si vous le voulez, à presque rien, calculé, si vous le voulez, sur le logement et même sur le logement au mois ou à la semaine, mais enfin d’un cens. Le règlement provisoire prenait pour base, à La Haye, un loyer annuel de 66 ou 67 florins, en comptant une trentaine de semaines. A ce compte, l’ouvrier qui paye 2 florins de loyer par semaine ne serait pas électeur. Mais pourquoi ne le serait-il pas ? Et même, pourquoi ne le serait-il pas, s’il paye par semaine pour son logement, à La Haye, 1 fl. 50 cents, à Amsterdam et à Rotterdam, 1 fr. 75 cents ? Seulement, qu’on ne se perde pas dans une vaine phraséologie, que la loi dise ce qu’elle voudra, mais qu’elle dise quelque chose, et nettement, et que l’on ne puisse pas lui faire dire autre chose.

M. Roëll, pour concilier tout le monde, a proposé un arrangement : « Seront électeurs tous ceux qui payent une contribution directe, quel qu’en soit le montant, ne fût-il que d’un florin. » M. Tak van Poortvliet, dans sa seconde rédaction, dit : « Tous ceux qui n’auront pas changé de domicile depuis trois mois ou n’en auront changé qu’une fois depuis un an. » Quelle preuve de « bien-être social » voit-on là ? Il y a des gens, qui, par leur travail même, peuvent être forcés de changer souvent de domicile. Et quelle preuve de capacité que de savoir lire et écrire, que de n’être pas tout à fait analfabet ! « Comme si, de la capacité, s’écrie M. van Houten, il n’existait pas d’autres preuves et comme si, par hasard, dans une société comme la nôtre, un homme qui ne sait ni lire ni écrire et qui arrive à une certaine situation n’avait pas besoin de développer beaucoup plus de qualités personnelles et, d’un seul mot, de prouver beaucoup plus de capacité que son voisin muni d’un certificat de cours primaire et endormi dans son succès d’école ! Du reste, qu’on y réfléchisse.