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III

M. Tak van Poortvliet, il l’a dit et redit, doit et veut se régler sur la constitution ; mais il veut, d’autre part, pour l’attribution du droit de suffrage, descendra dans les couches sociales, aussi bas que la constitution l’y autorise. Devant la loi électorale, pauvreté ne sera pas vice, si elle se suffit à elle-même.

Puisqu’il s’agit d’étendre le suffrage, que ce ne soit pas une hypocrisie et qu’on l’étende largement. Puisqu’on tire du droit populaire les organes mêmes de l’État, que le droit soit vraiment populaire. Il n’est certes pas étonnant que cette idée, en soi et dans son application, soulève des répugnances invincibles, froisse des sentimens invétérés, et ne puisse entrer en des têtes habituées à d’autres systèmes, qui construisaient par en haut la société et le gouvernement des hommes. L’étonnant, ce serait justement que le projet de M. Tak n’eût pas rencontré d’adversaires : aussi en a-t-il, et beaucoup, et qui viennent des quatre points de la Chambre et du pays. Si l’on nous demandait, à nous, Français, quels sont en pareille matière, quels doivent être logiquement les partisans et les adversaires du projet, nous répondrions que la gauche est avec M. Tak van Poortvliet, tandis que la droite est contre lui. Et nous répondrions pour la Hollande, comme si la Hollande était la France, comme si les partis politiques étaient aux Pays-Bas les mêmes que chez nous. Mais rien ne serait plus inexact.

Dans la seconde Chambre des États-Généraux, la gauche comporte à peu près toutes les nuances de la nôtre, depuis le libéralisme proprement dit, jusqu’à une sorte de radicalisme. Encore un radical néerlandais ne ressemble-t-il qu’assez peu à l’un de nos radicaux, à nous, et se qualifie-t-il de libéral tout comme celui que nous appellerions un libéral proprement dit. Le projet de réforme électorale a mis en lumière ces nuances et accentué les divisions. À l’extrême gauche, le groupe de M. Kerdijk, des radicaux ou antiploutocrates ; c’est le titre que M. Kerdijk aime à prendre pour la circonstance, et il marque bien que M. Kerdijk et ses amis rejettent de la loi tout ce qui pourrait se rapprocher d’un cens, si minime qu’on le suppose. Ils ne repoussent pas absolument toute restriction au droit de suffrage, mais ils ne sauraient tolérer que le droit de suffrage parût être, à un degré quelconque, tiré de l’argent ou de la richesse. Un système censitaire est, pour eux, la loi n’exigeât-elle que le paiement d’un florin, un système ploutocratique.

« Antiploutocrates ! » ripostent leurs anciens alliés, M. S. van