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religieuses, se confessant et communiant tous les huit jours. Il alla plus loin, il ne refusa plus de prendre au sérieux les révélations et les apparitions dont les calvairiennes se croyaient favorisées et dont le Père Joseph tenait note régulièrement. Il écrivait à cette époque à un de ses amis : « Ce n’est pas suffisant d’être honnête homme : en pareille matière, il faut se piquer de raffînemens. »

Le Père Joseph était arrivé à l’apogée de son influence et de son crédit ; Richelieu multipliait à son égard les marques de confiance. Il était hanté depuis longtemps par une préoccupation. Sa santé déclinait de jour en jour : il craignait de mourir avant d’avoir accompli la tâche qu’il s’était donnée. Il voulait que sa politique fût continuée après lui. Il choisit le Père Joseph pour son successeur. Mais comment faire accepter, en ce temps où la hiérarchie sociale était si puissante, l’autorité d’un simple moine, membre d’un ordre mendiant ? Richelieu avait placé si haut la dignité de cardinal, que le chapeau rouge semblait l’attribut naturel du pouvoir. Dès 1633 il fit engager des négociations à Rome pour obtenir la promotion de son ami au cardinalat.

Les pourparlers se poursuivirent pendant cinq ans ; ils duraient encore lorsque le Père Joseph mourut. L’opposition de la Cour de Rome aurait peut-être fini par céder. Cependant il est permis d’en douter lorsqu’on voit le concert d’hostilités que soulevait le nom du capucin. Il avait des ennemis même dans son ordre, dont il était cependant l’illustration. Mêlé à la politique et vivant à la Cour, il s’était fait dispenser de quelques-unes des règles de sa congrégation. Il avait un carrosse, une livrée, de la vaisselle d’argent. Il aurait peut-être passé sur ces petites irrégularités qui ne l’empêchaient pas de mener une vie pieuse et même édifiante ; mais les partisans de la maison d’Autriche, alors très puissans à la Cour de Rome, ne lui pardonnaient pas la part qu’il prenait à la direction de la politique française. Trompée par les apparences, l’opinion générale attribuait la continuation de la guerre au capucin plus qu’au cardinal. Dès 1630, à Ratisbonne, un gentilhomme de la maison de Tilly, nommé Perlo de Flémal, lui avait fait publiquement une scène violente à ce sujet : « Etes-vous le Père Joseph ? » lui demanda-t-il. Et sur sa réponse affirmative : « Vous êtes donc capucin, s’écria Flémal, c’est-à-dire obligé par votre caractère à faire régner la paix dans la chrétienté, et c’est vous qui allumez une guerre sanglante entre les souverains catholiques, entre l’Empereur, le roi d’Espagne et le roi de France. Allez, vous devriez rougir de honte ! » Les passions devinrent plus vives encore quelques années après, lorsque le capucin se fit le