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devant les contemporains et devant la postérité. Le capucin, malgré sa déférence pour le ministre, n’a jamais cessé de défendre, en termes modérés, mais parfaitement nets, la ligne de conduite qu’il avait suivie. D’un autre côté, l’irritation de Richelieu semble avoir été sincère, d’après le témoignage de l’ambassadeur vénitien Contarini, qui a vu le ministre dans le premier moment d’émotion causée chez lui par la nouvelle de la conclusion du traité. Cependant, comme M. Fagniez l’a démontré, pièces en mains, les conditions auxquelles les deux plénipotentiaires français avaient souscrit ne différaient que sur des points de détail de celles qui avaient été admises éventuellement par Richelieu. Enfin il n’est pas inutile de noter que, pendant les derniers jours de la négociation, le cardinal avait laissé les deux plénipotentiaires français presque livrés à eux-mêmes, leur écrivant rarement comme s’il eût voulu rejeter d’avance sur eux toute la responsabilité du dénouement de leur mission. Depuis le 19 septembre jusqu’au 13 octobre, jour de la signature du traité, ils ne reçurent qu’une seule dépêche insignifiante datée du 22 septembre, et qui leur arriva le 9 octobre. Le 17 seulement, c’est-à-dire quatre jours après avoir signé, ils recevaient une dépêche leur interdisant de faire certaines concessions auxquelles ils avaient déjà consenti. Cette interruption de la correspondance diplomatique de Richelieu, si peu conforme à ses habitudes, peut-elle s’expliquer soit par l’état de santé du roi, alors malade à Lyon où il se trouvait avec toute la cour, soit par les inquiétudes du ministre sur la solidité de son crédit, battu en brèche, pendant ce séjour à Lyon, par Marie de Médicis et ses amis ? Mais comment ces mêmes raisons n’ont-elles pas empêché le cardinal de correspondre régulièrement avec Charnacé en mission auprès de Gustave-Adolphe et de lui donner les instructions les plus précises pour le succès de sa négociation ?

Peut-être touchons-nous ici à l’explication de la conduite de Richelieu. Voyant l’alliance suédoise en bonne voie, convaincu d’autre part que la paix avec la maison d’Autriche ne serait qu’une trêve, qui sait s’il ne désirait pas l’échec de la négociation engagée avec Ferdinand II et s’il ne se serait pas montré opposé à tout autre traité avec l’empereur aussi bien qu’à celui qui fut conclu par les plénipotentiaires français ? En envoyant Brulart et le Père Joseph à Ratisbonne il devait avoir eu l’espoir que, d’une part, les électeurs se brouilleraient avec l’empereur et que, d’un autre côté, Ferdinand II, qui avait commencé la guerre contre le duc de Nevers, ne se prêterait pas à un arrangement acceptable de la succession de Mantoue. S’il avait fait ce double calcul, on comprend