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politique a-t-il étouffé chez lui l’homme d’église ? Non ; mais ils vivent tous deux côte à côte par un de ces compromis moins rares qu’on ne pense : l’homme d’église multipliant les œuvres pieuses, organisant des missions dans les pays les plus lointains, essayant d’implanter le catholicisme au Maroc, en Perse, en Abyssinie ; cherchant à convertir les protestans de France par la propagande, par la prédication, par les faveurs prodiguées à ceux qui se laissent gagner ; le politique soutenant les protestans d’outre-Rhin contre l’empereur, accueillant et faisant pensionner les réfugiés allemands qui, chassés de leur pays pour cause religieuse, viennent mettre au service du roi de France leur plume ou leur épée.

En 1625, nous n’en sommes pas là encore. La politique extérieure de Richelieu est sans doute arrêtée dans ses grandes lignes ; car, comme on l’a dit justement, jamais homme n’a eu plus que lui la volonté de tout ce qu’il a fait ; mais, n’étant pas encore en état d’exécuter ses projets, il ne se presse pas d’en livrer le secret, même à ses plus intimes confidens. Ce serait précipiter la rupture avec ses alliés de la veille, avec Marie de Médicis et son entourage, qui ont tant contribué à le faire arriver au pouvoir. Or il n’est pas encore assez fort pour braver leur hostilité. Déjà ceux qu’on appelle les dévots, les zélés, les espagnolisés, groupés autour de la reine mère et de Bérulle, ont réussi à lui enlever une partie des résultats de la campagne diplomatique et militaire si hardiment menée, dans l’affaire de la Valteline, contre le saint-siège et l’Espagne. Obéissant à leur inspiration et outrepassant les instructions du ministre, le représentant de la France à Madrid, Fargis, a signé avec Olivarès un traité que Richelieu n’ose pas désavouer, craignant, avec raison, de rencontrer derrière l’ambassadeur Marie de Médicis. Il se contente d’en atténuer les inconvéniens par quelques modifications consignées dans un nouveau traité à Monçon, on Aragon.

Consolider son pouvoir et celui du roi, qui dans sa pensée se confondent, voilà le but principal qu’il poursuit pour le moment. Une nouvelle et imprudente prise d’armes des protestans lui fournit l’occasion de supprimer les privilèges politiques qui leur avaient été concédés par l’Edit de Nantes : c’est un grand pas fait par la France vers l’unité de pouvoir et de législation. La prise de la Rochelle, de Privas, de toutes les places fortes du protestantisme, la soumission des chefs de la résistance, sans en excepter le plus illustre de tous, le duc de Rohan, mettent fin à l’organisation privilégiée qui, créée pour servir de garantie à la liberté religieuse des réformés, leur donnait la tentation et la facilité de former un État