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place dans un camp politique opposé à celui où ses ancêtres avaient figuré. Descendant des Paléologues par sa mère, il fut poussé, par des Grecs désireux de recouvrer leur indépendance, à se poser en prétendant à l’Empire d’Orient. Il s’éprit de cette idée, et le Père Joseph s’en éprit au moins autant que lui. Des intelligences furent nouées avec les mécontens de la Morée, de l’Albanie, de toutes les provinces où la résistance à la domination musulmane fermentait sourdement. Un plan de campagne fut élaboré. Le projet reçut même un peu plus tard un commencement d’exécution par des levées d’hommes et par l’organisation, sous le nom de milice chrétienne, d’une petite année à la solde du duc de Nevers.

Charles de Gonzague, malgré tout ce qu’il avait d’aventureux dans le caractère et de chimérique dans l’esprit, ne se faisait pas l’illusion de croire qu’une pareille entreprise pût réussir en dehors des souverains de la chrétienté ; mais le Père Joseph, son conseiller, ne désespérait pas d’obtenir leur concours. A la veille de se mettre en route, comme un Pierre l’Ermite, pour prêcher une nouvelle croisade d’abord à Rome, ensuite à Madrid, il s’ouvrit en confidence à Richelieu du grand dessein auquel il s’intéressait, et ménagea une entrevue entre le prélat et le duc de Nevers. Il serait curieux de savoir ce qui put se dire entre les trois personnages. L’évêque de Luçon, occupé de projets d’un autre genre, devait s’intéresser médiocrement à la reconstitution de l’Empire d’Orient ; mais désireux avant tout d’arriver au pouvoir et soucieux de ménager tous ceux qui pouvaient servir son ambition, il est probable qu’il évita de décourager ses deux interlocuteurs. Le Père Joseph partit pour Rome ; mais auparavant il avait célébré partout les mérites de Richelieu. Il l’avait indiqué à l’entourage de la reine mère et à Marie de Médicis elle-même comme l’homme dont elle avait le plus d’intérêt à se servir. Il joua donc sa partie dans le concert d’éloges que Richelieu s’était préparé habilement et qui le fit appeler dans les conseils du roi, cette même année, comme secrétaire d’Etat chargé de la guerre et des affaires étrangères.

Quand le Père Joseph revint de Rome l’année suivante, il ne trouva plus son ami au pouvoir. Une révolution de palais avait tout bouleversé. Concini avait été tué, sa femme après lui. Au favori de la reine mère avait succédé le favori du roi. Luynes était tout-puissant ; il le fut jusqu’à sa mort. Marie de Médicis était exilée, toutes ses créatures écartées des affaires. Les années qui suivirent furent difficiles pour l’évêque de Luçon et pour le capucin. Richelieu, englobé dans la disgrâce de Marie de