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discuter. Ranke seul avait approché de la vérité, que M. Fagniez a fini par découvrir. Le manuscrit de la Bibliothèque nationale n’est qu’une copie partielle d’un document qui, après bien des pérégrinations, est aujourd’hui au British Muséum. Il est de la même écriture que la biographie dont nous parlions tout à l’heure ; il est, comme cette biographie, l’œuvre de Lepré-Balain ; il a été rédigé avec le même concours de renseignemens et de documens fournis par les personnes qui avaient vécu dans l’intimité du capucin. Ce ne sont donc pas, à proprement parler, les Mémoires du Père Joseph, dans le sens où nous employons aujourd’hui ce mot ; mais ce sont des Mémoires sur le Père Joseph, écrits d’après ses papiers, contenant des analyses et des extraits de documens tirés de son cabinet politique, et par suite ayant à peu près le même caractère et la même valeur que s’ils étaient l’œuvre personnelle du capucin.


I

Le Père Joseph, avant de porter le nom qu’il prit en se vouant à la vie monastique, et que l’histoire lui a conservé, s’appelait François Le Clerc du Tremblay. Il était né dans une de ces grandes familles de bourgeoisie parisienne, propriétaires de terres nobles, appuyées de hautes protections et pourvues d’emplois importans. Son père, Jean Le Clerc, seigneur du Tremblay, occupait au Parlement de Paris l’office de président aux enquêtes ou aux requêtes : c’est un point sur lequel l’érudition si précise de M. Fagniez n’a pas pu faire la lumière, faute de documens suffisamment nombreux et concordans. Sa mère, Marie Motier de La Fayette, appartenait à une ancienne, noble et pauvre maison d’Auvergne. Il avait dix ans lorsqu’il perdit son père et se trouva sous la tutelle maternelle. Mme du Tremblay lutta énergiquement contre la vocation religieuse de son fils, soit parce qu’élevée dans la religion protestante, elle avait gardé de son éducation une médiocre sympathie pour les ordres monastiques, soit parce que, François étant l’aîné de ses trois enfans, elle le considérait comme tenu de faire son chemin dans le monde pour devenir le protecteur de la famille dont il était le chef naturel. Contrairement à toutes les prévisions, la voie dans laquelle il s’engagea devait le conduire à un si haut degré d’influence qu’il put faire bénéficier de son patronage non seulement son frère Charles Le Clerc et son beau-frère Saint-Etienne, mais toute une tribu de parens, d’alliés ou d’amis.

Les curieux d’anecdotes demandent volontiers, lorsqu’il s’agit d’une vocation religieuse, si elle n’a pas été provoquée ou au