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Pinacothèque de Munich, le divin bambino est très visiblement imité de celui de la Vierge de la maison Colonna, au musée de Berlin. Avec la loyauté qui le caractérisait, le Vénitien n’hésitait pas, à l’occasion, à rendre hommage à l’Urbinate : lors de sa visite au Vatican, il s’extasia devant les fresques des Stances et traita durement son compatriote Sebastiano del Piombo, qui les avait maladroitement restaurées.

Des grandes compositions religieuses du Titien, il en est quatre qui méritent de nous arrêter particulièrement : la Vierge des Pesaro, le saint Pierre martyr, la Présentation de la Vierge au Temple, la Mise au tombeau.

Dans la Vierge des Pesaro, peinte entre 1521 et 1526, pour l’église des Frari, où elle se trouve encore, le Titien reprend ce thème des Saintes Conversations, si familier à ses devanciers vénitiens, mais avec quelle émotion en plus ! Les saints et les donateurs ne sont plus rangés symétriquement aux côtés de la Vierge : par une inspiration aussi originale que profondément pittoresque, le maître a placé la mère du Christ au sommet d’un escalier, qu’encadrent deux imposantes colonnes, dont l’extrémité supérieure va se perdre dans les airs. Marie s’incline avec autant de grâce que de componction ; l’enfant au contraire, joyeux et mutin, s’appuie d’un pied sur le genou de sa mère, tandis qu’il lève l’autre par un de ces gestes enfantins dont le Titien semble avoir, pour ce cas spécial, dérobé le secret à Raphaël. Plus loin, d’un côté, saint François présentant les membres de la famille Pesaro, dévotement agenouillés au bas des marches ; de l’autre, saint Pierre tenant un livre ; puis, au premier plan, un guerrier nu-tête (c’est l’évêque-soldat Jacopo Pesaro), brandissant d’une main un étendard et saisissant de l’autre les fers de deux prisonniers turcs. Près de lui, un autre donateur à genoux. Dans les airs, sur un nuage, deux anges qui tiennent une croix et qui servent de couronnement à cet ensemble mouvementé et dramatique plus que ne l’avait été jusqu’à ce moment n’importe quel tableau vénitien.

La science de l’ordonnance et du rythme qui se manifeste dans la Vierge des Pesaro égale celle des plus parfaites compositions de Raphaël, avec quelque chose de plus primesautier, une inspiration plus hardie et une entente plus complète des exigences de la décoration ; seules peut-être les Marie sur l’escalier, gravées par Marc Antoine, en approchent. On y trouve en germe les effets d’imprévu que développera au XVIIIe siècle le grand décorateur vénitien Tiepolo.

La Mise au tombeau du Louvre, peinte vers 1520, offre une composition aussi concrète que saisissante ; pas un trait n’y est perdu ; l’action se développe avec une concision, une vivacité, une