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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




28 février.


La ligue des propriétaires est définitivement victorieuse ; les producteurs de blé ont obtenu que la nation leur fasse des rentes, prises principalement sur la bourse du pauvre. Les représentans du peuple, à une immense majorité, ont voté l’élévation à 7 francs du droit de douane sur les 100 kilogrammes de blé, qui déjà, il y a quelques années, avait été porté de 3 à 5 francs. Le quintal de blé coûtant 15 francs à Londres et 13 r. 50 à Bruxelles ou à Amsterdam, les 7 francs constituent une surtaxe d’environ 50 pour 100 sur la valeur marchande de cette denrée de première nécessité, que les nécessiteux auront à verser aux seigneurs terriens. À ce prix, on espère que le taux des fermages se relèvera, que, tout au moins, les revenus fonciers ne baisseront pas davantage. C’est un résultat précieux pour la masse agricole et ouvrière ; elle ne peut manquer de l’apprécier à sa valeur et de payer joyeusement les « quelques centimes » que le droit supplémentaire exigera d’elle. Car il ne s’agit que de « quelques centimes » par jour et par personne, une cinquantaine de francs par an pour une famille de prolétaires, — si le droit joue dans son plein comme il faut le souhaiter. — Or qu’est-ce que cinquante francs, je le demande ? Une misère, un rien, à peine le prix d’une loge de cinq places dans un théâtre du boulevard !

Seulement personne ne pourra plus dire que nous sommes un pays révolutionnaire, ni que chez nous la propriété soit menacée. Paris est en ce moment la ville du monde où le blé coûte le plus cher : 21 fr. 10 le quintal. Il ne vaut que 16 francs à Vienne et 18 fr. 50 à Berlin. Cependant, aux frontières de la monarchique et féodale Allemagne, le droit perçu sur le froment étranger n’est que de 4 fr. 35 par 100 kilogrammes ; et, malgré les plaintes des agrariens de Prusse, le gouvernement de Guillaume II vient de rouvrir aux blés de Russie l’entrée de son empire, à ces conditions modérées pour un pays où l’aristocratie foncière réclame quelques ménagemens. L’Angleterre et la Belgique laissent gémir aussi leurs grands propriétaires. La France, au contraire, républicaine et démocrate, porte de 5 à 7 francs la taxe d’entrée sur les céréales étrangères, dans le dessein, longuement exposé par les