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Staël. Le portrait de l’héroïne, gravé d’après une peinture du maître sévillan Pacheco, semble peu propre à justifier, du moins physiquement, cette comparaison. Doña Catalina, avec la golille, le hausse-col de fer et le pourpoint de buffle aux aiguillettes mal nouées, est, à vrai dire, peu avenante, d’aspect viril, militaire et rébarbatif.

Nous avons un autre portrait d’elle d’après le vif, à la plume. Dans sa dix-septième lettre de Rome, datée du 11 juillet 1626, le voyageur Pietro della Valle, le Pèlerin, comme on le nommait, écrivait à son ami Mario Schipano : « Le 5 de juin vint pour la première fois chez moi l’Alfiere Caterina d’Arcuso, Biscayenne, arrivée la veille même d’Espagne. C’est une demoiselle d’environ trente-cinq à quarante ans… Sa renommée m’était parvenue jusque dans l’Inde Orientale. Ce fut mon ami le P. Rodrigo de San Miguel, son compatriote, qui me l’amena. Je la fis depuis connaître à plusieurs dames et à des cavaliers dont l’entretien lui agréait davantage. Le Signor Francesco Crescentio, bon peintre, l’a portraicturée. Grande et forte de taille, d’apparence plutôt masculine, elle n’a pas plus de gorge qu’une fillette. Elle me dit avoir fait je ne sais quel remède pour se la faire passer. Ce fut, je crois, un emplâtre fourni par un Italien. L’effet en fut douloureux, mais fort à souhait. De visage, elle n’est point trop laide ; mais assez fatiguée et déjà sur l’âge. Ses cheveux noirs sont courts, comme il sied à un homme, et mêlés en crinière, à la mode du jour. L’air est plutôt d’un eunuque que d’une femme. Elle s’habille en homme, à l’espagnole, porte l’épée bravement, comme la vie, avec la tête un peu basse et enfoncée dans des épaules trop hautes. Bref, elle a la mine plus d’un soldat que d’un mignon de cour. Seule, sa main pourrait faire douter de son sexe, car elle est pleine et charnue, bien que robuste et forte, et le geste en a parfois encore je ne sais quoi de féminin. »

Telle fut la nonne Alferez, doña Catalina de Erauso. Écoutez l’histoire de sa vie qu’elle va vous narrer elle-même. C’est une confession hardie, peut-être sincère, qu’elle commença d’écrire ou de dicter le 18 septembre de l’an 1624, alors qu’elle rentrait en Espagne sur le galion le Saint-Joseph. Ce fut sans doute pour occuper le désœuvrement de ces longues journées de traversée qu’allongent les calmes étouffans de la mer des Tropiques. Peut-être sentit-elle l’impérieux besoin de décharger sa conscience, son cœur trop lourds. Dans l’inaction forcée, prisonnière lasse de fouler les planches d’un pont de navire, elle se plut à revivre par la pensée les aventures d’autrefois, les courses à cheval à travers les Andes, en quête d’El-Dorado, les querelles, les com-