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tribus ou castes, l’amour-propre de classe, les intérêts de classe ne pouvaient manquer de garder un empire puissant et de maintenir une certaine unité. A coup sûr, ce sentiment, cette unité relative étaient pour une classe sacerdotale, ambitieuse et déjà savante, particulièrement indispensables à la fois et aisées à sauvegarder. Il n’y a entre classes et castes point d’incompatibilité absolue ; les deux régimes se peuvent combiner et compléter. L’erreur consiste à en confondre les origines.

Seule l’autorité de la théorie brahmanique a pu répandre sur cette distinction profonde une fâcheuse illusion. Elle a donné crédit à une interversion complète des rôles. C’est sous son insidieuse influence que l’on s’est obstiné à chercher l’origine des petits groupes bien vivans, dans des catégories qui n’en sont plus que l’exposant collectif, dont la valeur est en quelque sorte devenue nominale, qui ont été superposées à un régime auquel elles sont primitivement étrangères, moins par un développement organique que par une construction savante.

On a beaucoup discuté, et sans serrer les termes d’assez près, la question de savoir si les castes existaient à l’époque védique. D’un commun accord, on a considéré que l’hymne à Pourousha était trop récent pour faire foi à cet égard. Les observations qui précèdent ne tranchent pas le problème. Il en résulte au moins que, partisans ou adversaires de l’existence védique des castes, doivent décidément modifier leur base d’opération. Que le mot varna ne signifie point caste dans les hymnes, il importe peu, s’il est vrai que ce mot n’ait jamais eu rigoureusement ce sens, ou du moins qu’il ne l’ait reçu qu’en vertu d’une extension tardive. Que l’on discerne dans la population une triple division que l’on soit même fondé à en induire l’existence dans un passé encore plus recule, il n’y a rien à conclure de là, s’il est vrai qu’il s’agisse de classes, non de castes. La hiérarchie des classes se retrouve dans des milieux trop divers pour être par elle-même significative. La caste, organisme de sa nature circonscrit et séparatiste, a nécessairement d’autres racines. Le vrai problème consiste à déterminer si, au-dessous de ces grandes catégories de prêtres, de guerriers nobles, d’hommes libres, et inscrits, si j’ose ainsi parler, dans ces cercle s’étendus, il y a trace dans les hymnes de groupes héréditaires, agglutinés par l’un quelconque, — consanguinité, profession, religion résidence, — des facteurs que nous savons contribuer à la constitution des castes, des organismes enfin identiques ou simplement analogues à la caste. Voilà ce qu’il faut chercher ; autre chose est de savoir si la recherche sera fructueuse.