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atteste explicitement dans l’Inde l’existence des castes. C’est celui qui décrit comment l’univers sort tout entier de la substance du Mâle primitif, Pourousha. Le texte déclare que « le Brahmane était sa bouche, le Râjanya (Kshatriya) ses bras, le Vaïçya ses cuisses », que « de ses pieds naquit le Çoûdra ». De l’aveu de tous, ce morceau est parmi les plus récens de la collection vénérable où il a pris rang. Il a pourtant bénéficié en quelque mesure du prestige qui s’attache à l’ensemble. On s’est d’autre part, pour apprécier, pour commenter le témoignage, inspiré de cette idée préconçue que l’existence des castes devait se manifester sous la forme des quatre castes du système développé ; rien à mon sens de plus fragile.

Un exemple va me faire comprendre. Haug, et après lui, avec plus de précision, M. Kern, ont cherché à démontrer, contrairement à l’opinion la plus commune, que les castes non seulement auraient été parfaitement connues à l’époque védique, mais qu’elles remonteraient plus haut, jusqu’au temps où les ancêtres des Iraniens et ceux des Hindous vivaient côte à côte. Quel argument invoquent-ils ? Ils s’appuient, soit sur les textes de l’Avesta, soit sur les témoignages plus récens qui montrent l’ancienne population de l’Iran partagée en quatre pishtras, analogues aux quatre varnas de l’Inde. L’existence des castes n’est nullement attestée dans l’histoire de la Perse. Mais la notion de caste est, dans l’esprit de MM. Kern et Haug, si indissolublement liée à la quadruple division en Brahmanes, Kshatriyas, Vaïçyas et Çoûdras, que, à en découvrir l’équivalent dans une région apparentée, ils concluent sans hésitation que le régime des castes a dû exister parallèlement dans les deux milieux ! J’estime, et j’y vais revenir, que M. Kern est parfaitement fondé à rapprocher les deux séries ; j’admets volontiers qu’elles ont, entre elles, plus qu’une ressemblance extérieure, une affinité intime ; mais, malgré la fusion qui s’est opérée dans l’Inde entre ce quadruple fractionnement et le système des castes, rien ne prouve que la connexité soit originelle, nécessaire, qu’ils s’emportent l’un l’autre.

Je dois m’en expliquer.

La doctrine officielle n’admet que quatre castes ; la réalité fait éclater ce cadre trop étroit : elle en montre un nombre infini. Et c’est là que réside, entre la théorie et les faits, une opposition capitale, la seule, à vrai dire, qui ne soit pas aisément réductible. Peut-on arguer de la différence des temps ? Mais la théorie, par plus d’un indice, par les contradictions mêmes où elle s’engage, constate et avoue que, de vieille date, les castes ont été bien autrement nombreuses qu’elle ne paraît d’abord le supposer. J’ai