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Kiratas, des Daradas, c’est-à-dire toutes les populations guerrières non hindoues de l’Inde ou de l’étranger, Dravidiens et Chinois, Perses et Grecs, Scythes et aborigènes ? Aucun lien d’origine ne les rattachait, bien entendu, à l’organisation brahmanique ; il fallait à tout prix les faire rentrer dans l’ordonnance préconçue !

La théorie des castes mélangées ouvre d’abord dans le système une brèche inquiétante. Mais que dire des quatre castes principales ? On ne peut douter que la prétention de faire de tous les çoûdras un simple ramassis d’esclaves ne soit purement arbitraire. Elle est infirmée par la situation même que, du point de vue civil, des textes parallèles leur assignent. Peut-on croire que les trois castes supérieures aient jamais formé ces unités fermées, compactes, réglées, dont on évoque l’image ? La caste brahmanique poursuit ses destinées sous nos yeux. Dans quelles conditions ? nous l’avons vu, non pas comme une caste véritable, mais comme une agglomération de castes innombrables, inégales en droits, en rang social, et séparées à cet égard par des distances énormes. Que l’on se rappelle les longues listes de brahmanes dégradés et déchus qu’énumère la tradition ! Il n’en était donc pas autrement du temps où furent rédigés les Livres de lois. Quant aux kshatriyas et aux vaïçyas, c’est à peine si leur nom même a survécu dans quelques traces ; elles sont aussi suspectes que rares. Là où il paraît, le nom a pu être repris à la tradition à des époques récentes, — nous en avons des exemples avérés, — pour servir les prétentions arbitraires de tel ou tel groupe. Comme castes séparées, authentiques, on ne les saisit nulle part. Nous n’y pouvons voir encore que des noms génériques, un cadre très vaste destiné à embrasser, à dissimuler un fractionnement réel infini.

J’ai eu occasion naguère de montrer ici même, à propos du théâtre, comment les Hindous procèdent pour établir des enseignemens théoriques. Goût des classifications et dédain des faits, insouci de notre sens logique et respect superstitieux des formules, tout conspire chez eux, avec la tyrannie de l’esprit scolastique, avec la domination incontestée d’une classe sacerdotale, pour hâter l’éclosion des systèmes, pour prêter aux plus artificiels un prestige très immérité. Ce qui est vrai pour la littérature ne l’est pas moins pour la religion et pour les lois. Et nous ne devons pas nous scandaliser dans l’Inde d’une vue qui pourrait ailleurs passer pour téméraire. L’Hindou n’hésite pas à généraliser, sans s’inquiéter des limitations même les plus indispensables à nos yeux. Un exemple entre cent.

Il y a quatre situations pour le brahmane fidèle aux devoirs